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en bonne forme sur le sujet de Charles VI, que telle ou telle circonstance le força d’interrompre et d’oublier dans quelque carton où elle dormait du bienheureux sommeil des justes et des tragédies, lorsqu’il y a deux ans, les évènemens ayant amené des chances de guerre avec l’Angleterre, la mouche de l’allusion politique vint tout à coup le piquer à l’oreille, et ce fut sans doute à cette époque que le chantre de Jeanne d’Arc conçut l’idée de faire d’une vieille tragédie un opéra nouveau.

Il sera dieu, table ou cuvette.

Les poètes utilisent tout. Malheureusement, des conditions fondamentales s’opposent à ces transformations, et ce serait s’abuser étrangement que de croire qu’on trouvera dans une tragédie manquée l’étoffe d’une bonne partition. L’opéra est un genre constitué, un genre peu littéraire sans doute, mais ayant sa poétique à part, sa poétique fort connue de M. Scribe, auprès duquel M. Casimir Delavigne eût bien fait de s’informer d’avance.

Mme Stoltz apporte dans le personnage d’Odette cet aplomb singulier de cantatrice et de comédienne dont elle a déjà donné tant de preuves sur le théâtre de l’Opéra. À la bonne heure, voilà du moins un rôle combiné à souhait pour mettre en relief tout son mérite, et ses prétentions doivent être comblées. En effet, pour peu que vous y preniez garde, vous vous apercevez qu’il n’y a dans Charles VI de musique et d’action que pour elle ; à peine si les autres chanteurs osent ouvrir la bouche ; Mme Stoltz réduit tout le monde au silence. Dans les cinq actes interminables de cette grande œuvre, évidemment dédiée par les auteurs à l’illustre virtuose, Duprez, Barroilhet, Mme Dorus, n’apparaissent qu’au second rang, et jouent un peu le rôle de comparses, fort heureux encore d’être admis à donner la réplique, car après tout l’idée pouvait bien venir à Mme Stoltz de chanter des duos à elle seule. Au fait, pourquoi Mme Stoltz ne se passerait-elle pas cette fantaisie ? Ne possède-t-elle pas deux voix bien tranchées, bien distinctes, une voix de contralto grave et caverneuse pour tenir l’emploi de Barroilhet, et, pour s’exercer dans les régions aériennes de Mme Dorus, une voix de soprano à rendre une fauvette jalouse ? Il y a là peut-être des ressources auxquelles M. Halévy fera bien de songer pour la partition nouvelle qu’il médite sans doute déjà ; de la sorte, du moins, la mise en scène ne sera point entravée, et les auteurs s’épargneront les réclamations et la mauvaise humeur de tout ce monde mécontent de se voir sacrifié aux exigences de la prima donna. Nous ne concevrons jamais qu’on puisse prendre au sérieux cette manière de chanter, qui consiste à ouvrir la bouche, et à s’en remettre ensuite au pur hasard de la justesse d’une intonation. À quelle école, bon Dieu ! appartient cet art de phraser ? D’où cette vocalisation excentrique nous vient-elle ? On voit que Mme Stoltz a beaucoup écouté chanter Duprez, dont elle a retenu çà et là certains procédés qu’elle répète de routine, ce qui doit faire à peu près tout le fond de son éducation musicale ; mais ces imitations, que nous consentirions volontiers à prendre pour d’assez amusantes parodies