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on leur montrait dans leurs réalités intimes les œuvres de la foi et de la charité dans cette seule ville de Paris, dont la vie semble s’écouler tout entière au milieu du bruit, des affaires et des plaisirs ! Que diraient-ils s’ils savaient qu’il y a aujourd’hui dans la capitale des associations de prières et d’œuvres saintes plus nombreuses peut-être qu’au moyen-âge ?

Que diraient les chefs de tous les partis, de toutes les factions, de toutes les écoles philosophiques, si on les invitait à percevoir sou à sou une rente annuelle de 3 millions, sur leurs partisans ou sur leurs disciples ? Aucun, assurément, ne tenterait une telle expérience, et ce serait sagesse. Il est pourtant réalisé ce miracle de dévouement et de foi populaire ; il est réalisé au prix de cinq centimes par semaine, et cette association, la plus nombreuse assurément qui soit au monde, a pour organe l’un des écrits les plus saisissans et les plus dramatiques de ce temps-ci, les Annales de la propagation de la foi[1]. Dans une de nos villes de province, quelques hommes conçoivent un jour la pensée de s’associer pour apporter l’obole de leur charité à la plus grande œuvre qui ait été entreprise sous le soleil, la conversion de tous les peuples au christianisme, l’union de toutes les civilisations et de toutes les races au sein d’une même église et d’une même foi. Reprendre l’œuvre de François-Xavier, rentrer en Chine, à Siam, au Tong-King, pour y rechercher les traces des premiers martyrs, préparer un hardi retour au Japon, où le XVIIe siècle avait vu disparaître une jeune et belle chrétienté noyée toute entière dans son sang, lutter par l’austérité du dogme et l’immutabilité de la hiérarchie contre ces myriades de sectes dissidentes que la politique autant que le dévouement, l’industrialisme autant que la foi, jettent et entretiennent à grands frais sur tous les continens conquis à l’Angleterre, sur tous les rochers auxquels elle a rivé les mailles du réseau qui enlace le monde, quelle entreprise d’une réalisation plus improbable, d’une témérité plus apparente ! Cette pensée, cependant, était à peine née à Lyon, que déjà elle embrassait la France entière, et par la France l’Europe, et par l’Europe le monde.

Aujourd’hui cette ville est le siége d’une association qui compte plus d’un million de membres dans son sein. Cette association, que plusieurs de nos lecteurs entendent peut-être nommer pour la première fois, est appelée à apprécier chaque année les besoins de toutes

  1. Tirées à Lyon à plus de 150,000 exemplaires, savoir : en français, 80,000 ; en allemand, 20,000 ; en anglais, 18,000 ; en italien, 30,000 ; en espagnol, en portugais et en hollandais, environ 10,000.