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DES INTÉRÊTS FRANÇAIS DANS L’OCÉANIE.

dans la chambre une approbation générale, et sont le meilleur gage des vues prévoyantes du gouvernement. Préparer des points de ravitaillement et de relâche pour nos bâtimens de guerre, et surtout pour nos baleiniers, augmenter peut-être ainsi le nombre de ceux qui tenteront la pêche du cachalot, cette grande école de l’homme de mer, voilà la conséquence la plus heureuse de notre double établissement. La faible population de ces deux archipels, chaque jour diminuée par son contact avec la race blanche, ne permet pas de les envisager comme un marché de quelque importance. Personne n’ignore que ni l’un ni l’autre n’est placé sur la route commerciale de l’Amérique à la Chine et aux Indes, qui d’ordinaire se maintient au nord jusqu’à la hauteur des îles Sandwich pour se diriger ensuite vers le continent asiatique par le travers des Mariannes ou des Carolines ; chacun sait enfin que les îles Marquises et celles de la Société n’acquerront une valeur réelle comme station maritime que par l’exécution certaine, on peut le croire, mais assurément fort éloignée, du canal de Panama.

Il n’y a donc pas là pour la France un intérêt matériel d’une grande valeur ; car quelques kilomètres de terrain mis en culture au pied de l’Atlas ont pour sa puissance politique et militaire, plus d’importance que les îles reculées qu’elle s’est conquises. Et cependant cette conquête est en soi un grand évènement, et cet évènement modifiera d’une manière profonde les destinées de l’humanité elle-même. C’est qu’il y a dans le monde autre chose que de la politique, de l’industrie et du commerce, quelque bruyante possession qu’ils affectent en prendre, quelque dictature qu’ils croient y exercer ; c’est qu’aux temps où les intérêts affichent le plus hautement la prétention de gouverner les sociétés, ils sont eux-mêmes les aveugles instrumens des plans divins qui leur échappent. Si les voies de la Providence sont moins lumineuses et plus cachées, le travail de Dieu sur l’œuvre de la création ne se poursuit pas de nos jours avec moins de suite et moins de puissance. Pendant que notre société démocratique semble se changer en un vaste rucher de laborieuses abeilles, il s’opère dans son sein un mouvement qui, pour échapper aux regards distraits de l’indifférence et de la foule, n’a ni une moindre réalité ni une portée moins sérieuse. Jamais peut-être la sève chrétienne ne circula plus abondante et plus énergique dans les profondeurs de la société française que sous l’épaisse couche de glace qui en dérobe le cours mystérieux. On étonnerait assurément la plupart des hommes qui croient connaître le mieux l’époque contemporaine, si