Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
LE SALON.

La manière de M. Meissonnier, ou plutôt son succès, a fait des prosélytes. On n’a pas tardé à l’imiter, et même à le parodier. C’est ce qui est arrivé cette année à M. Jacquand avec son Café Procope en deux parties. Mais à quoi pense donc M. Jacquand ? Dans quelle société, bon Dieu ! va-t-il se fourrer ? Piron, Voltaire, Gresset, Rousseau, Marmontel, Thomas, Crébillon, et qui sais-je encore ? Quel rapport peut-il y avoir entre ces gens-là et M. Jacquand ? M. Meissonnier, qui a de l’esprit et qui en met dans sa peinture, n’eût pas osé les mettre en scène. M. Jacquand, lui, a jugé que sa touche était assez fine pour exprimer tout ce qu’il a eu de plus spirituel au monde. Ce qu’il y a de plus bouffon en ceci, c’est qu’une bonne partie du public a pris la parodie au sérieux.

M. Giraud n’a pas été beaucoup plus heureux avec la poudre, les paniers, les habits de soie, la pommade, et toute la défroque des boudoirs de la régence. Que ne faudrait-il pas d’art et d’exécution pour faire supporter cette pitoyable anecdote des crêpes ? Passe pour le Colin-Maillard. Encore ne voyons-nous là qu’une grimace de Watteau ou plutôt de Lancret. Or, à quoi bon faire du mauvais Lancret ? Et quand on en ferait du bon, à qui, à quoi cela servirait-il ? On me dit qu’il y du talent dans tout cela. Du talent ! Mais où n’y en a-t-il pas dans ces mille toiles ? Ne faut-il pas du talent pour faire les horribles Savoyards de M. Hornung ?

Les Chanteurs espagnols de M. Adolphe Leleux nous placent dans un ordre d’idées plus sain. Sous une treille, à la porte d’une posada de Navarre, des groupes d’hommes, d’enfans et de femmes, sont échelonnés à diverses hauteurs sur les marches d’un escalier. Un des personnages chante en s’accompagnant de la guitare. Cette donnée fort simple n’a d’autre intérêt que celui qu’y peut mettre l’imagination de l’artiste. M. A. Leleux en a tiré une fraîche, grave et douce scène, analogue sans doute par le caractère à la romance chantée par le guitariste. La disposition scénique des figures est ingénieuse, facile à saisir, et d’un effet piquant, quoique naturel. Cependant les plans sont trop faiblement accusés, et empiètent les uns sur les autres Ceci est un péché d’habitude. On a cru retrouver dans ces physionomies espagnoles un reste du caractère mélancolique de ces Bretons dont il nous a déjà plus d’une fois raconté les mœurs. Il s’y retrouve en effet, mais il n’a pas été pris en Bretagne ; c’est le sentiment de l’artiste qui se reflète sur ces visages de paysans espagnols, comme sur ceux des paysans bretons. L’artiste ne prend au fond presque rien à la nature, il tire tout de lui ; car la nature donne tout