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LE SALON.

d’espérance, et qu’il est décidé à se résigner : non sans quelque humeur toutefois ; car, bien que des motifs faciles à supposer l’obligent à ménager ses visiteurs, on voit qu’au fond il ne serait pas fâché que le diable les emporte. Il paraît particulièrement irrité contre son voisin de gauche, dont les manières dégagées lui sont d’autant plus incommodes que la force inexpugnable de la position où il s’est établi laisse moins d’espoir d’une prochaine délivrance. Quant aux deux amateurs, ils ne se doutent pas le moins du monde de l’effet qu’ils produisent : ils devisent, dissertent, prononcent, louent, conseillent, plus satisfaits encore probablement de la sagacité de leurs observations et de la justesse de leur goût, que de la beauté de la peinture. Ne doutez pas que lorsqu’ils se retireront, ce qui arrivera Dieu sait quand, ils ne se quittent très satisfaits l’un de l’autre, et ne se donnent une poignée de main sur l’escalier avant de se séparer.

Cette petite comédie à trois acteurs se joue sur une toile de trois à quatre pouces carrés.

M. Meissonnier a le talent de l’observation, non pas de cette observation superficielle et grossière qui ne voit rien au-delà de la première apparence des choses, mais cette observation fine et profonde qui pénètre intimement dans tous leurs détails caractéristiques et les épuise. Il donne à ses personnages une individualité qui les fait entrer dans le domaine de la réalité. On sait non-seulement ce qu’ils font, mais ce qu’ils sont ; on les connaît, on a une idée de leur caractère, de leur humeur, de leur esprit ; on pourrait dire une partie de leur histoire. Or, c’est là ce qu’on appelle créer. Et ce que nous disons des figures, il faut le dire de tout le reste, du costume, des accessoires, de toutes les circonstances de lieu et de temps. Les habits de ces trois hommes n’ont pas été empruntés pour jouer un rôle ; ils les portent avec tant d’aisance et de naturel, qu’on ne peut douter qu’ils n’aient été taillés pour eux. Tout est parfaitement homogène et conséquent dans les élémens si nombreux et si variés de la scène. À ce degré de finesse, d’étendue et de puissance, l’esprit d’observation est de l’invention ; l’œuvre de l’artiste n’est plus une simple imitation matérielle de ce qui est vu par les yeux, mais un produit de son esprit, la représentation d’une vue intérieure de l’intelligence, pour la réalisation de laquelle la nature ne fournit que des matériaux, et non le modèle qui n’existe et ne peut exister que dans l’imagination. Il y a de l’idéal partout où il y a de l’art ; il y en a dans cette petite comédie de M. Meissonnier, comme dans la Transfiguration de Raphaël. Seulement l’idéal a des différences et des degrés ; il est plus ou moins