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LE SALON.

d’orthographe. Le paysage est traité dans une manière large, tout-à-fait historique, et les accessoires, particulièrement une corbeille de fruits sur le premier plan, sont peints avec un grand talent. L’aspect général de cette toile, que nous voudrions voir plus remarquée, rappelle celles des maîtres, et il y a peu de tableaux au salon qui soient aussi tableaux que celui-ci. Un peu moins d’uniformité dans le ton, un peu plus de finesse dans le modelé, un peu plus de vie dans le coloris, ne nuiraient pas à cette peinture.

Si le Guillaume-le-Conquérant, de M. Debon, n’avait pas été placé hors de la portée de la vision distincte, on aurait pu juger si ce jeune artiste, dont l’an passé le Jésus-Christ avec les pères de l’église faisait espérer et promettait presque un coloriste, a tenu parole. Ce n’est ici, il est vrai, qu’un portrait historique et non une composition. L’artiste a groupé, derrière le duc de Normandie, quelques cavaliers dont les enseignes sont déployées au vent. Les masses du second plan nous ont paru d’un bon sentiment de couleur et d’effet. La figure principale est bien posée, et nous ne trouvons à y reprendre que le ton dissonnant du camail en hermine, qui opprime les tons voisins et fait, en quelque sorte, tache en blanc.

M. Muller a fait, sur le motif du Combat des Centaures et des Lapithes, une variation de son Héliogabale. Même tapage de couleurs, même goût pour le laid, même dévergondage de main, même absence de composition. Il est bien difficile de dire ce qu’il y a dans ce fouillis de corps masculins, chevalins et féminins mis en tas et enchevêtrés les uns dans les autres, et le peu qu’on en reconnaît distinctement ne donne guère de curiosité pour le reste. Il y a pourtant dans tout cela un certain entrain d’exécution, un mouvement de couleur et un sentiment de l’effet pittoresque qui mériteraient d’être employés avec plus de discernement et de goût. Nos coloristes actuels, ou ceux du moins qui se piquent de l’être, ont une tendance singulière au Vanloo. On dirait qu’ils cherchent leurs modèles dans cette école dégénérée des Lemoine, des Raoux, du vieux Fragonard et autres, dont le petit maniérisme réduisit l’art profond et puissant des Titien et des Rubens à un jeu de main facile et brillant, et à une vaine fantasmagorie. Cette tendance n’est pas douteuse, du moins dans le tableau de M. Muller.

Celui de M. Menn, placé vis-à-vis, offre aussi une singulière manière de traiter la mythologie et les âges héroïques grecs. Il nous fait voir les Syrènes attirant Ulysse sur les écueils par la perfide douceur de leurs chants. Si le livret ne l’affirmait on croirait qu’il s’agit