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main ne sauraient embrasser ni épuiser les rapports. Il y a en effet une logique profonde dans le beau qui n’est, comme l’a dit admirablement Platon, que la splendeur du vrai. Or, une idée vraie, quelque circonscrite qu’elle soit en apparence, renferme tout un système de vérités subordonnées qui n’attendent pour éclore que l’incubation de l’intelligence. C’est ainsi que, chez les grands écrivains, ce qui est explicitement écrit et exprimé n’est rien auprès de ce qui est implicitement pensé et de là vient que faire penser est le signe distinctif du génie. Dans les œuvres médiocres, au contraire, tout reste en-deçà de ce qu’a voulu dire l’artiste, et il n’y a jamais rien au-delà. Semblables à un fruit avorté, elles n’ont pas un principe individuel et actif de vie et d’existence, et, comme une phrase dénuée de sens, elles n’éveillent ni idées, ni sympathie.

Quelle que soit la signification qu’a pu prendre dans la pensée des spectateurs la composition de M. Gleyre, qu’elle soit une idylle, une allégorie, une leçon de philosophie, une élégie, une ode anacréontique, peu importe. Il est possible et même probable qu’il y a un peu de tout cela ; seulement on peut présumer, sans faire le moins du monde tort à l’intelligence de l’auteur, qu’il a dû être étonné d’avoir eu, à son insu, tant d’esprit. Ce que nous savons mieux, c’est que, s’il avait fait lui-même la philosophie de son tableau pour le peindre, comme cela est arrivé à tel autre des exposans, son œuvre n’aurait pas probablement valu la peine qu’on en fît une pour l’expliquer. Laissant donc de côté toute cette métaphysique, examinons seulement ce qui paraît aux yeux dans cette peinture, sous le rapport seul de l’art.

Le système de composition et d’exécution du tableau de M. Gleyre est visiblement emprunté au goût antique ; c’est une imitation de la manière des peintres grecs, mais une imitation libre et intelligente, qui ne prend dans ses modèles que ce qu’il y a de plus général et de plus abstrait, leur méthode, ou, comme on dirait mieux en musique, le mode, le ton, la mesure. Aussi, malgré la ressemblance de cette peinture avec celles qui restent des anciens, elle n’a pas la moindre trace de pastiche. Sous un rapport seulement, M. Gleyre s’est tenu peut-être trop près de ses modèles ; sa couleur, presque toujours juste et franche, manque un peu de ressort, et le ton général, bien qu’harmonieux, n’a pas cette vivacité et cette fraîcheur dont l’absence n’est qu’un motif de regret dans des peintures faites il y a deux mille ans, mais de surprise dans une peinture faite d’hier.

À part cette insuffisance, que la situation véritablement excep-