Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/258

Cette page a été validée par deux contributeurs.
252
REVUE DES DEUX MONDES.

Le conseil spécial de chaque industrie trouverait par lui-même les élémens qui seraient nécessaires pour répartir entre tous les fabricans la somme totale des travaux et des produits demandés à cette industrie. Sa constitution lui donnerait la puissance de remplir cette mission. Ce serait au gouvernement de lui fournir les élémens où il puiserait la connaissance de cette somme totale de produits dont l’écoulement serait probable ; ce serait aussi le gouvernement qui lui indiquerait dans quelles proportions les différens marchés pourraient absorber les produits. Ces élémens seraient facilement rassemblés par une administration centrale instituée auprès du ministère du commerce, et qui aurait en outre pour mission d’assurer l’exécution des règlemens conformément aux intérêts de tous, commerçans, industriels, ouvriers, consommateurs.

Mais pourquoi faire intervenir, me dira-t-on, le gouvernement dans chaque industrie ? Que chacun entreprenne tels travaux qu’il lui plaise d’imaginer, que chacun s’agite et trouve en soi-même les élémens de son succès ; que chacun s’enrichisse ou se ruine, qu’importe au gouvernement ? Qu’importe ! oh ! non pas. Un père de famille, après avoir partagé entre ses fils le bien qu’il leur destinait, après avoir placé chacun d’eux à la tête de l’industrie de leur choix, n’a pas le droit de se reposer ; il leur doit encore, il leur donne toujours des conseils sur la conduite qu’ils doivent tenir ; il leur indique, en les mettant sur la route de la vie, et les obstacles qu’ils doivent vaincre, et les pentes qu’ils doivent éviter. Il les suit sur le chemin pour veiller à leurs intérêts, il les accompagne avec la sollicitude inquiète dont vous avez tous conservé tant de reconnaissance. N’a-t-on pas dit mille fois qu’un état forme une grande famille ? Le gouvernement n’en représente-t-il pas le père ? Ne doit-il pas alors veiller sur tous les intérêts des membres de cette famille, c’est-à-dire de toutes les industries ? Quand le mal est consommé, quand la misère est partout, le gouvernement intervient et cherche un remède à la maladie. Le remède est souvent efficace, c’est vrai, mais souvent aussi il est tellement énergique qu’il tue, témoin le projet de la suppression de la sucrerie indigène, qui propose de détruire par une loi une industrie long-temps protégée et encouragée. Faut-il toujours que le mal soit consommé, pour que le gouvernement intervienne ? et sa mission ne serait-elle pas plus belle, s’il prévoyait et empêchait les maux dont il ne cherche maintenant que la réparation ? Ce que nous disons s’applique non-seulement aux intérêts industriels, mais encore aux intérêts agricoles. Est-ce que le Bordelais serait encombré de vins dont les producteurs ne savent que faire, si la production avait été calculée d’après la consommation probable ? Est-ce qu’il n’appartenait pas au gouvernement de prévenir le cultivateur que, s’il continuait à propager la vigne, tandis que la consommation du vin restait stationnaire, il ne saurait recueillir le fruit de ses travaux ? C’est ainsi partout ; une spéculation réussit, produit un revenu assez élevé ; mille imitateurs se lèvent aussitôt et veulent partager ce revenu. Divisé entre tous, le revenu ne satisfait plus les besoins de per-