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DU MONOPOLE DE L’INDUSTRIE DES TABACS.

ques centimes, mais l’ouvrier producteur ne reçoit plus qu’un franc pour un travail opiniâtre de douze heures par jour. Il se prive, il prive sa famille du nécessaire ; il ne se vêt que de toile grossière, lui qui fabrique les draps les plus beaux ; il couche sur la paille, il n’achète pas de mobilier, il vend au contraire le petit mobilier qu’il possède. Les produits industriels ne s’écoulent pas, et les fabricans cherchent en vain à échapper à la ruine qui les menace. Que si au contraire chaque industrie se trouvait organisée disciplinairement, de telle sorte qu’un syndicat, dans lequel entreraient par voie d’élection le maître et l’ouvrier, calculât sûrement quelle quantité de produits pourrait être livrée dans l’année à la consommation, répartît entre tous les fabricans l’approvisionnement en prenant pour base de la proportion l’importance de chaque fabrique particulière, fixât les prix auxquels les produits seraient livrés à la vente, de manière que l’ouvrier pût retirer de son travail un juste salaire, comme le fabricant de ses capitaux, de ses soins, de sa responsabilité, un juste bénéfice, indiquât des marchés placés selon les besoins des localités, marchés où les produits de telle ou telle fabrique viendraient s’écouler ; que, si une mesure semblable à celle que nous ne faisons qu’indiquer était adoptée, on remédierait certainement au danger imminent d’une perturbation générale dans les classes industrielles.

Une assemblée générale où seraient appelés indistinctement tous les membres intéressés de telle ou telle branche de l’industrie ne pourrait certes pas résoudre une telle question, et elle faillirait à la mission qui lui serait confiée. Il y aurait une lutte évidente entre les intérêts avides mis en présence comme pour combattre. Mais un conseil élu par tous les fabricans, maîtres ou ouvriers, et formé d’un certain nombre d’entre eux, un conseil revêtu de la confiance de tous aurait certainement la puissance de se faire entendre. L’ouvrier protégé par ce conseil suprême, auquel il aurait droit de représentation, cesserait de s’agiter convulsivement contre l’ordre établi, et de se constituer le premier ennemi de l’industrie qui le fait vivre et soutient sa famille. Le maître, contenu par la surveillance supérieure du conseil qu’il a nommé, et par la surveillance non moins efficace des ouvriers dont il devrait craindre surtout de blesser les intérêts, alors que la lumière descendrait incessamment sur ses actes, cesserait de s’élancer dans des spéculations ruineuses, sans pourtant résister au progrès. Nous ne voulons pas en effet arrêter les élans de l’industrie, dont nous connaissons toute la puissance. Nous désirons non-seulement la protection, mais encore la récompense de toute invention ; toute invention deviendrait la propriété de tous, après la rémunération pécuniaire et honorifique dûment accordée à l’homme de patience et de travail qui l’enfante avec les peines, les veilles, les sueurs que l’on sait. Le progrès alors n’entraînerait plus, comme aujourd’hui, la ruine du passé, et la récompense de l’inventeur, ne serait plus prélevée sur la misère où la nouvelle invention précipite la vieille routine, dont les services ont cependant été si bienfaisans.