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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

courtisans, c’est-à-dire tout ce qu’il fallait être alors pour se trouver en harmonie avec le temps. Pour leur ressembler véritablement aujourd’hui il faudrait résumer en soi le présent comme ils résumaient le passé, c’est-à-dire ne leur ressembler en rien. Quand on jouait sur le théâtre espagnol du XVIIe siècle quelque histoire terrible de justice conjugale comme le Certain pour le Douteux, de Lope de Vega, ou À outrage secret vengeance secrète, de Calderon, ou Après le roi personne, de Rojas, le poète n’avait fait que transporter sur la scène les passions qui vivaient dans la société. Les mœurs sont moins féroces aujourd’hui, Dieu merci ; personne n’est plus si prompt à se faire justice soi-même, et la sympathie du public pour de pareilles œuvres ne peut plus être la même. Le public a horreur aujourd’hui de ce qu’il trouvait sublime dans d’autres temps. Ce qui lui paraissait piquant lui semble fade. Qu’y faire ? Chercher ce qu’il désire et le lui donner, si l’on peut.

Aussi bien tout n’est pas à changer, à réformer, dans l’ancien théâtre. La comédie de cape et d’épée n’était pas la seule forme de ces esprits créateurs ; les catastrophes de la jalousie ne sont pas les seules qu’ils aient mises en scène. Ils ont tous abordé d’autres sujets, et quelques-uns avec une supériorité éclatante. Les drames héroïques et historiques abondent dans leur répertoire. C’est dans ce genre de sujets qu’on peut espérer de faire encore une large moisson. D’ailleurs, si la trop grande parité dans la couleur générale est à éviter, rien n’empêche de s’inspirer des détails, qui sont si admirables et si variés. Nous avons loué Zorrilla de son application à reproduire les mêmes procédés de versification. C’est déjà là un moyen qui peut aider puissamment à conserver au théâtre espagnol son caractère national. Il y en a d’autres. Tel ordre d’incidens qui ne peuvent plus être l’objet principal de l’intérêt peuvent être employés avec art comme d’agréables accessoires. Tel type qui a vieilli comme il est peut, avec de légères modifications, redevenir vrai et amusant. Telle donnée qui a été épuisée, en s’appliquant à une certaine espèce d’évènemens et de personnages, peut être ravivée en servant pour d’autres personnages et des évènemens nouveaux. Enfin ce qui est à faire pour le théâtre, comme pour toute chose, c’est la conciliation du passé et du présent, de la spécialité et de la généralité. Zorrilla a tenté cette œuvre difficile dans les deux pièces qui ont suivi celles dont nous venons de parler, mais, à notre avis, sans beaucoup de succès encore. Ces deux pièces ont un titre commun, le Savetier et le Roi, et un héros commun, le roi don Pèdre le justicier.