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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

de Zorrilla l’Honneur et la Vie qui se perdent ne se recouvrent pas, mais se vengent. Zorrilla a même transporté sans façon de longs fragmens du poème dans le drame ; comme nos romanciers d’à présent, il se pille lui-même. Son personnage principal est une femme. Doña Margarita Tellez a épousé le comte Perez de Peralta. Le comte est très dévoué au roi d’Aragon Jean III ; de son côté, Margarita a conservé une très vive amitié pour le fils du roi, le célèbre prince de Viane, avec qui elle a été élevée. Ce malheureux prince, poursuivi par son père, se réfugie dans le village qu’habite Perez de Peralta, et reçoit l’hospitalité de sa femme, qui le cache dans sa maison. De là une série d’aventures qui se devinent aisément. Doña Margarita n’ose pas dire à son mari quel est l’homme qu’elle cache si soigneusement ; le comte devient jaloux, comme tout mari espagnol de théâtre, et cherche à tuer celui qu’il croit être un galant, tandis que sa femme emploie toute sorte de ruses pour le dérober à sa colère.

Ce drame domestique est compliqué par l’intervention de Jean III, qui cherche son fils pour lui faire un mauvais parti, et par celle des habitans de Barcelone, qui étaient alors en révolte ouverte contre leur roi, suivant l’antique usage de la Catalogne, et qui se répandent dans la campagne pour courir au secours du prince. Les jeux de scène rappellent tous les anciens imbroglios du théâtre espagnol, si bien imités par Beaumarchais dans le Barbier de Séville et surtout dans le Mariage de Figaro. Perez de Peralta ressemble beaucoup au comte Almaviva cherchant toujours le page Chérubin et toujours trompé dans sa recherche. Le rôle favori de l’auteur, c’est celui de Margarita. Comme l’Elvire de Chacun son droit, c’est l’Espagnole race pure, une de ces femmes à la tête droite, au teint animé, à l’œil brillant et fier, qui vivent encore dans les portraits de Velasquez. Il est impossible d’avoir plus d’aplomb et de ressource dans l’intrigue ; elle confond à tout instant son mari par son assurance, et c’est elle qui fait le plus souvent des querelles quand elle devrait en recevoir. Avec une actrice vive, spirituelle, hardie, à la parole rapide et au geste résolu, comme doit être la fameuse comédienne du théâtre de la Cruz, doña Barbara Lamidrid, de pareilles femmes doivent former un type très caractérisé.

Aire recio, gesto crudo,
Alma atroz, sal española.

Air rude, geste cru,
Âme fière, sel espagnol.