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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

subsistera toujours : c’est le climat, le sol, les souvenirs, les traditions, tout ce qui constitue un fait accompli ou une circonstance immuable. Si le mouvement qui rapproche est puissant, le fait qui sépare est indestructible. De là la nécessité d’une harmonie entre les deux forces. La diversité dans l’unité, tel a toujours été, tel doit être encore le monde, mais une autre diversité et une autre unité que par le passé. Dans les anciennes nationalités, le temps fera deux parts, l’une qui n’était qu’accidentelle et qui disparaîtra avec les circonstances sociales dont elle est née, l’autre radicale, essentielle, et qui doit se combiner avec les faits nouveaux pour former les nationalités nouvelles. À ce point de vue, le goût de l’originalité nationale en littérature est parfaitement justifié, mais il faut alors avoir bien soin de ne pas confondre et de ne pas prendre ce qui est bien et dûment mort pour ce qui doit revivre. Dans le passé, le fait principal, c’était la diversité ; dans l’avenir, le fait principal dominant, ce sera l’unité. L’unité de l’avenir n’exclut pas plus la diversité que la diversité du passé n’a exclu l’unité, mais les conditions de l’une et de l’autre sont différentes. Pour le moment, ce qui se fonde est surtout l’unité ; toute forme incompatible avec l’unité est condamnée d’avance, tout effort qui tend à la produire est au contraire à encourager.

Ce n’est pas la première fois qu’un mouvement général de transformation s’opère dans le monde. On peut dire que ce mouvement est en quelque sorte continu depuis le commencement des âges historiques, et qu’il a de temps en temps des momens où il éclate avec plus d’énergie et d’intensité. Nous sommes dans un de ces momens. La fondation de l’empire romain, l’établissement du christianisme, et dans les temps modernes les croisades, la féodalité, la réforme, ont été des mouvemens généraux. Quand le christianisme s’est établi, les partisans exclusifs des originalités nationales auraient regretté, là le paganisme grec, ici le culte oriental du soleil ou celui des idoles sauvages de la Gaule. Il semblait que le christianisme allait établir dans le monde cette uniformité qui répugne tant à beaucoup d’esprits ; certes, si jamais tendance à l’identité fut puissante, ce fut celle-là. Il a vu cependant des variétés infinies sortir de cette apparente uniformité ; le christianisme a porté des fruits bien différens en Italie, en Espagne, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Orient. Toutes Les diversités de l’histoire moderne se dessinent sur ce fond commun, et n’en sont pas moins fort distinctes entre elles. Sur certains points, quelque chose du paganisme a survécu et