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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

y était resté plus puissant qu’ailleurs, et ce qui a donné le dernier essor à la grande époque de la renaissance, c’est la fuite des Grecs en Europe devant les conquêtes de Mahomet II. Les poésies qui nous paraissent originales sont celles dont la filiation nous est inconnue. Depuis qu’on y regarde de plus près, on voit que les romances espagnols ont une origine plus complexe, un développement plus savant et moins naïf qu’on n’avait cru d’abord. Qui peut savoir quels ruisseaux cachés, les uns venus d’Orient, les autres d’Occident, se sont réunis pour former ce beau fleuve d’Homère ? Qui peut dire quelle est la part de l’antique Égypte, quelle est celle de l’Arabie et peut-être de l’Inde, dans les traditions poétiques de la Judée ? Mais à coup sûr ce qui nous paraît simple ne l’est pas. L’œil attentif devine des soudures dans ce qui semblait fondu d’un seul jet ; seulement, la trace des combinaisons successives s’est perdue dans les ombres de ces temps obscurs, et il faut aujourd’hui la patience sagace de l’antiquaire pour démêler ce que les siècles ont confondu : recherches curieuses qui forcent l’unité factice à laisser voir sa multiplicité réelle, et qui nous montrent l’art et le calcul où nous n’avions cru trouver que l’instinct !

Nous voilà bien loin de l’Espagne actuelle et de Zorrilla, qui n’a certes rien de commun avec la Bible et avec Homère ; mais il faudrait bien tâcher de s’entendre une bonne fois sur ce goût exclusif pour l’originalité, qui est devenu si fort à la mode. Si l’originalité, c’est la nouveauté, la manière de l’apprécier dépend du point de vue. Zorrilla n’est point original pour nous, j’en conviens, mais il est original pour les Espagnols, ce qui lui importe probablement beaucoup plus. Ce que nous blâmons en lui est précisément ce que ses compatriotes approuvent ; et ses compatriotes ont-ils tort de le juger ainsi ? Qui peut l’affirmer ? Ils savent mieux que personne apparemment ce qui est usé pour eux et ce qui ne l’est pas. De même, si l’originalité, c’est la nationalité, nul ne sait mieux que les nationaux si un poète est national ou non. Il y a deux manières d’être national, ou en se montrant conforme à un type idéal et distinct qui n’a eu, le plus souvent, de vérité que dans le passé, ou en répondant aux besoins actuels et immédiats, à la situation présente et réelle de son pays. Dans le premier cas, on est national pour les étrangers ; dans le second, on est national pour ses compatriotes. Si Zorrilla était resté fidèle aux anciens erremens de la littérature espagnole, c’est-à-dire d’une littérature qui ne répond ni aux mœurs, ni aux idées de l’Espagne actuelle, il aurait pu passer en France pour très original, très national, très