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poésies de Zorrilla, accueilli avec acclamation par le monde, peu nombreux encore, mais enthousiaste, qui s’occupe de littérature à Madrid. Il contient environ une trentaine de pièces dans le genre lyrique, et ce que l’auteur appelle un Caprice dramatique en deux actes. Pour un Français qui l’ouvre et le parcourt avec distraction, comme nous faisons aujourd’hui, hélas ! de tous les recueils de poésies, ce volume n’offre que des imitations de Lamartine ou de Victor Hugo. On y retrouve les procédés lyriques, les coupes de strophes, les idées, les images, et jusqu’aux titres et aux sujets qu’affectionnait la dernière école poétique française. L’Horloge, la Lune de janvier, À Venise, Orientale, Méditation, le Soir d’automne, la Nuit d’hiver, Indécision, le Dernier jour, Elvire ! ne croirait-on pas lire la table de quelqu’un de ces recueils élégans et satinés qui naissent et meurent par milliers tous les ans chez les éditeurs de Paris ? Il y a pourtant une différence immense entre Zorrilla et nos jeunes poètes élégiaques français. Cette différence c’est le succès. Peu de personnes répètent chez nous ces vers qui s’échappent avec abondance de tant de sources, malgré le talent réel qui brille dans la plupart ; la fraîcheur et la limpidité de ces ondes ignorées disparaissent pour nous dans la monotonie de leur murmure. En Espagne, au contraire, tout le monde lettré sait par cœur de longs fragmens de Zorrilla. Dans les bivouacs de la guerre civile comme dans les salons de Madrid, ses premières poésies retentirent comme un chant divin, et de toutes parts on les entendit redire ave délices.

D’où vient ce contraste dans les destinées, quand les œuvres sont si pareilles ? Apparemment de la disposition différente du public français et du public espagnol. En France aussi, nous avons admiré avec transport les harmonieux accens de la muse rêveuse, mais voilà bien près de vingt ans que nous sommes bercés par leur douce et uniforme cantilène. Nous aussi, nous avons été éblouis des richesses descriptives que le poète des Orientales jette à pleines mains, mais voilà bien long-temps aussi que nous avons entendu pour la première fois la cascade de ses rimes sonores. Les Espagnols sont moins blasés que nous. Zorrilla a été à la fois pour eux Lamartine et Victor Hugo. Comme le premier, il a eu le vague des sentimens, l’agitation du doute, la tristesse de l’urne ; comme le second, il a eu l’éclat, l’élan, la verve, l’ivresse des beaux mots et des somptueuses images. Spiritualiste et matérialiste à la fois, croyant et sceptique, lyrique et élégiaque tour à tour, il a rassemblé en lui tous les contrastes et exprimé toutes les contradictions d’une société fortement tiraillée. Cette ma-