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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

tous, après la France, où le mouvement littéraire est le plus actif. Pendant que l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre sommeillent, l’Espagne, profondément remuée, cherche son expression littéraire avec ardeur, en même temps que sa forme politique. Jamais, dans ce pays si engourdi pendant deux siècles, on n’a tant écrit et tant publié que depuis dix ans. Au plus fort de la querelle civile, pendant que les bandes de Gomez traversaient la Péninsule, ou que don Carlos arrivait avec son armée jusqu’aux portes de Madrid, des imprimeries se fondaient de toutes parts. On a fait, depuis 1834, plus d’éditions des classiques espagnols qu’on n’en avait fait en deux cents ans. En même temps, on a créé de nombreux journaux, des revues, des collections de documens inédits, des recueils de nouvelles, de pièces de théâtre, de biographies, des publications pittoresques comme en France et en Angleterre, enfin un immense commerce de papier imprimé. Pour alimenter toute cette activité, on traduit sans doute beaucoup de français, mais on demande beaucoup aussi à la production nationale. Une foule d’écrivains est sortie du chaos politique et social. Les uns sont arrivés à la vie littéraire par les armes, l’administration, le barreau, la diplomatie, les autres y ont été jetés d’emblée et sans préparation ; presque tous se sont mêlés de gré ou de force aux rudes épreuves de la politique et aucun ne s’en est tiré sans blessure. Ceux-ci sont déjà morts à la peine, ceux-là vivent dans l’exil et la proscription ; mais toujours et partout ils ont conservé le feu sacré, et jusque dans les heures les plus pénibles d’une vie ballottée, ils travaillent avec amour à la rénovation des lettres espagnoles. Pieux efforts qui méritent d’être plus connus, et qui ont droit au respect et à la sympathie de tous !

L’Espagne compte, en ce moment, trois générations d’hommes de lettres vivans. Les premiers sont nés dans les dernières années du XVIIIe siècle : ce sont ceux dont la carrière est déjà longue et dont la réputation est faite aussi bien en Europe que dans leur pays. À cette génération appartiennent MM. Martinez de la Rosa, Alcala Galiano, Joaquin Mora, Angel Saavedra, duc de Rivas, Javier Burgos, le comte de Toreno, et, enfin, les deux meilleurs poètes dramatiques que l’Espagne ait eus depuis Moratin, Breton de los Herreros et Gil y Zarate. La seconde génération s’est formée à l’ombre de celle-là ; ceux qui la composent datent des premières années du siècle présent et comptent aujourd’hui de trente à quarante ans. Moins connus que les premiers hors de leur pays, ils forment la portion militante de la société littéraire espagnole. Tels sont don