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sises. Aucune direction n’y est encore acceptée, et celle du ministère ne subsiste qu’en vertu du droit de possession et jusqu’à ce qu’une main plus ferme et plus habile se soit saisie des rênes. C’est le moment pour les hommes politiques d’exposer au grand jour de la discussion leurs vues et leurs pensées. La place est libre et appartient au plus digne : un parti qui saurait la prendre commencerait par inaugurer ses principes et ne manquerait pas d’être bientôt appelé à les appliquer lui-même.

Les réformes politiques, dont l’opposition de gauche se préoccupe presque exclusivement, ne me paraissent point, je l’avoue, devoir tenir la première place dans cette nouvelle phase parlementaire. D’abord, celles qui ont le plus occupé les dernières années sont ajournées. La question des fonctionnaires publics ne peut plus être agitée que dans la prochaine session. L’avénement à l’électorat de la seconde liste du jury est, d’un commun accord, remis à la dernière période de cette législature. Les lois de septembre pourraient, il est vrai, recevoir dès à présent des modifications qui calmeraient certains scrupules constitutionnels, d’autant plus respectables à mes yeux, que je les partage. Les actes du ministère ont soulevé, à l’occasion de la loi du jury et de celle des annonces judiciaires, des difficultés sérieuses. Je conçois que ces graves objets excitent la sollicitude d’une grande partie de l’opposition mais je ne suis pas bien convaincu que celle du pays soit éveillée au même degré. La liberté a fait en 1830 de grandes conquêtes : le pays s’en réjouit et se garde bien, comme on le prétend, de les croire plus fortes que ses mœurs ; mais il n’éprouve pas le besoin actuel d’innovations profondes. En agitant trop vivement le drapeau de la réforme, l’opposition court d’elle-même et comme de gaieté de cœur à d’inévitables échecs. L’état des esprits, l’indifférence des opinions, la mollesse des caractères, tout lui fait obstacle. Dans la lutte parlementaire, la plus habile tactique est de laisser agir un cabinet que sa position de gouvernement oblige sans cesse à se découvrir, et de lui livrer combat sur toutes celles de ses mesures qui ont été mal dirigées. L’opposition observe, attend, et ne frappe ses coups que quand elle voit les intérêts du pays compromis. C’est un rôle commode, une position retranchée qui peut être inexpugnable. Est-il sage de la quitter pour prendre une initiative toujours périlleuse ? Ce n’est pas d’ailleurs en renouvelant sans cesse des débats épuisés, c’est en se mettant franchement sur le terrain des faits, en discutant pas à pas toutes les questions politiques ou d’intérêts matériels, qu’un parti peut exercer une salutaire influence sur les destinées du pays.

Je voudrais qu’avec toutes ses forces, l’éloquence de ses orateurs, la science de ses publicistes, l’expérience de ses hommes d’affaires, l’opposition conservatrice s’emparât de toutes les discussions qui vont s’ouvrir. Le nom, la grandeur, la fortune de la France, y seront incessamment en cause : les questions les plus vitales s’agiteront à l’occasion de projets de lois dont le titre modeste est loin de révéler toute l’importance. Je ne veux pas me livrer à une énumération sans intérêt ; mais je demande quel plus noble mandat que celui d’une opposition