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d’éveiller un sentiment très répandu en Angleterre, la haine de la centralisation, sentiment aussi vif dans les classes inférieures que dans la classe la plus aristocratique. Ce serait une étude très curieuse à faire que de suivre les progrès lents, mais continus, qu’a faits la centralisation en Angleterre depuis huit ou dix ans, au milieu et en dépit des répugnances de la nation. Sous ce rapport, le ministère whig, dirigé par lord John Russell, a accompli presque une révolution dans les vieilles mœurs du pays ; d’année en année, la loi s’est élevée sur les débris de la coutume, et l’état, l’état comme abstraction, a de plus en plus usurpé les priviléges de l’esprit provincial et municipal.

Nous croyons que ce qui a le plus contribué, après l’église toutefois, à la chute des whigs, c’est cette tendance constante de leur politique à concentrer peu à peu tous les élémens de l’autorité dans la main de l’état. En cela, du reste, les whigs suivaient le véritable mouvement des temps modernes, la constitution et l’organisation des classes moyennes comme la plus ferme base de l’autorité royale. Aussi trouvaient-ils réunis contre eux tous les élémens féodaux, la vieille noblesse et la classe pauvre, les patrons et cliens. Il suffirait de signaler en passant, à l’appui de cette observation, l’hostilité irréconciliable qu’a toujours rencontrée et que rencontre encore aujourd’hui la nouvelle loi des pauvres. Le but général de cette loi, préparée par le gouvernement whig et adoptée depuis par le gouvernement tory, était de diminuer le nombre toujours croissant des pauvres par la sévérité des conditions attachées à la distribution des secours publics et à l’admission dans les maisons de travail. De plus, la réforme la plus importante apportée dans l’organisation de la loi était celle qui faisait aboutir l’administration du paupérisme de tout le royaume à un bureau central, composé de trois commissaires siégeant à Londres, et armés de pouvoirs presque discrétionnaires. On ne saurait concevoir de quelle exécration cette réforme a été l’objet en Angleterre, et, pour en distinguer le véritable caractère, il suffit de voir comment sont classés ceux qui l’attaquent et ceux qui la défendent. Ainsi, parmi les ennemis déclarés de la nouvelle loi des pauvres, nous voyons l’église, le vieux parti tory et la presse tory, puis les radicaux et les chartistes, et, parmi les promoteurs et les défenseurs de cette loi, nous trouvons le parti whig, le parti intermédiaire, et le gouvernement, quel qu’il soit, libéral ou conservateur. Au fond, c’est donc toujours la vieille lutte de la couronne contre la féodalité ; de l’état, représentant la communauté, contre l’aristocratie et les corporations. Il est bien certain que les dernières élections générales se sont faites en grande partie dans cet esprit de réaction à la fois aristocratique et démocratique ; tories et radicaux unissaient leurs imprécations contre les maisons de travail, et nous nous souvenons d’avoir vu, à l’élection la plus considérable de l’Angleterre, celle du West Riding du Yorkshire, les chartistes voter en masse avec les tories, au cri de : « À bas les bastilles ! » Néanmoins les hommes politiques, les hommes gouvernementaux du parti tory, ne se sont jamais associés à ce mouvement ; sir Robert Peel, le duc de Wellington,