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L’ÉDUCATION RELIGIEUSE EN ANGLETERRE.

égard : « Il est très triste pour nous, disait-il dans la chambre des communes, que l’Angleterre seule, l’Angleterre protestante et chrétienne, ait négligé, plus que toute autre nation civilisée de l’Europe, le devoir de diriger le peuple dans la voie où il doit marcher. Les derniers évènemens qui se sont passés dans ce pays doivent être pour nous une leçon solennelle. »

Mais d’où provient cet état d’infériorité relative de l’Angleterre sur un point aussi grave ? Sir James Graham ne le dit pas, et il ne pouvait pas le dire sans aborder un des problèmes les plus difficiles de la politique intérieure de l’Angleterre, celui des rapports de l’église avec l’état. La somme allouée par la législature à l’éducation du peuple signifie peu de chose en elle-même ; la question n’est pas une question d’argent ; il ne s’agit pas de savoir si le parlement votera un million ou vingt millions pour cet objet, mais bien de savoir par quelles mains et sous quelle direction religieuse et morale l’argent de l’état sera distribué et employé. Or, en Angleterre, l’église nationale, l’église établie, réclame le monopole exclusif de l’éducation religieuse donnée aux frais de l’état ; elle conteste à l’état le droit et la faculté de rester neutre en matière de religion, et, à ses yeux, le gouvernement commet un acte d’impiété et d’apostasie en consacrant un seul denier public à la propagation de l’erreur. De leur côté, les dissidens refusent d’envoyer leurs enfans à des écoles où ils seraient instruits dans des doctrines qu’ils considèrent comme fausses, de sorte qu’entre ces prétentions de l’église et ces répugnances des sectes dissidentes, l’état moral et intellectuel de la population pauvre reste stationnaire.

Le gouvernement, le pouvoir séculier, a plusieurs fois tenté de secouer ce joug de l’église, mais sans y réussir. Il y a quatre ans, lord John Russell proposa aussi un plan d’éducation populaire. On sait qu’il n’y a pas en Angleterre, comme cela existe dans la plupart des autres pays, de département spécial de l’instruction publique. En ce qui concerne l’éducation du peuple ou l’instruction primaire, les fonds alloués par le gouvernement sont, comme nous l’avons déjà dit, partagés entre deux grandes sociétés qui recueillent aussi les contributions volontaires. Ces deux sociétés forment une espèce d’administration indépendante et sans contrôle sur laquelle le gouvernement n’exerce qu’une autorité très limitée. Lord John Russell proposait de constituer un comité spécial composé de cinq membres du cabinet et du conseil privé, et qui aurait été chargé de la surveillance générale de l’instruction primaire. Ce comité aurait nommé des inspecteurs chargés de faire des rapports sur l’état des écoles dans tout le royaume, et, de plus, il aurait eu la faculté d’accorder des subventions à d’autres écoles que celles qui étaient sous le patronage des deux sociétés.

Assurément rien n’était plus naturel et plus régulier que cette proposition. C’est un principe incontestable, que là où l’état applique une part des deniers publics, il a le droit de s’assurer que l’argent de la nation est employé judicieusement ; mais quelque juste que fût cette prétention, elle avait le tort