Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
REVUE DES DEUX MONDES.

perdre de vue quand on s’occupe de l’Amérique. On conçoit que sur un courant d’eau de cette importance, véritable mer intérieure qui présente tous les dangers de la haute mer, aggravés là par le voisinage relatif de la terre et la diminution progressive de la profondeur, il y avait place pour tout le commerce du monde à la fois. Montevideo ne domine donc pas suffisamment l’entrée ou la sortie du fleuve. Aucun bâtiment de guerre ou de commerce n’est obligé d’y toucher pour se rendre à Buenos-Ayres, et les relations de l’une par la voie de mer peuvent être entièrement indépendantes de celles de l’autre ; mais, dans la pratique, elles ne le sont pas, et si au lieu d’appartenir à des républiques différentes, constituées comme exprès pour une rivalité déplorable, Montevideo et Buenos-Ayres appartenaient à un même état régulièrement organisé, ces deux villes auraient bientôt des fonctions distinctes dans le grand corps dont elles seraient des membres si considérables, c’est-à-dire que Buenos-Ayres et Montevideo se développeraient et s’enrichiraient en même temps, sans se porter ombrage, chacune suivant les lois et les avantages de sa position, Buenos-Aryes par une production immense des fruits du pays et par la distribution des produits étrangers sur les marchés intérieur qu’elle doit approvisionner, Montevideo par le commerce maritime, dont il deviendrait presque exclusivement l’entrepôt. Dans l’état actuel des choses, le port de Montevideo, plus commode et plus sûr que celui Buenos-Ayres, voit s’accroître de jour en jour son mouvement de navigation, et n’a rien perdu à la levée du blocus de Buenos-Ayres par la France. Il aurait cependant besoin d’être curé et approfondi, ce à quoi le gouvernement ne songe guère et ne peut pas songer, ayant sur les bras une guerre à la fois étrangère et civile qui absorbe tous les revenus de l’état, moins il est vrai par ce qu’elle coûte à soutenir que parce qu’elle sert de prétexte à d’incroyables dilapidations.

Un dictionnaire de géographie fort accrédité, et publié l’année dernière, ne donne à la ville de Montevideo qu’une population de onze mille ames au plus, en ajoutant que cette population était autrefois de vingt-six mille. C’est une erreur bien singulière, et tout le contraire de la vérité. Effectivement Montevideo n’avait peut-être que onze mille ames au plus vers 1820, mais il en a aujourd’hui trente-cinq mille au moins. Prenons terre sur un assez mauvais débarcadère en bois, que l’on traite d’abord fort lestement, et après lequel on soupire ensuite quand on arrive à Buenos-Ayres ; à cette foule de négocians qui se promènent en attendant leurs marchan-