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REVUE LITTÉRAIRE.

Aubert ne forme qu’un seul volume. Si le style de M. Leroux est parfois un peu raide et déclamatoire, malgré ses prétentions à une simplicité excessive, il est habituellement correct, et, par l’arrangement soigneux des mots aussi bien que par les sentimens qu’il exprime, il donne toujours une idée honnête de celui qui l’a écrit.

À des titres différens, M. Leroux et M. Maquet doivent être encouragés. Que l’un et l’autre suivent les routes contraires où la nature de leurs esprits semble vouloir les entraîner, et que tous deux cependant cherchent leur moyen de succès dans un même sentiment, l’amour désintéressé et sérieux de la carrière qu’ils ont choisie. Le moment est propice aux sérieuses tentatives. Mais quels sont les talens qui remplaceront les talens qui maintenant s’épuisent, c’est encore un mystère. Il est à coup sûr pourtant des règnes qui vont expirer. Des symptômes rassurans annoncent que le public se lasse enfin d’une littérature qui n’a son principe dans aucune passion généreuse. Si nous voulions, et nous en aurions peut-être le droit, faire parler les chiffres dans une question que tant d’écrivains cherchent à rendre une question commerciale, on verrait que la valeur matérielle de certaines œuvres est descendue au même niveau que leur valeur morale. Désirons avec ardeur qu’il arrive enfin au roman une de ces bonnes fortunes que depuis quelque temps on se met à espérer pour le théâtre. Il serait triste de voir disparaître, même pour un instant, un genre de littérature qui s’accorde si bien avec les facultés merveilleusement intelligentes et observatrices qu’ont reçues comme un caractère distinctif les hommes de notre époque. Ce qui nous manque, c’est la patience. L’ame s’enivre de l’activité qui se découvre et s’organise dans les puissances de la matière. On veut que partout la vie circule avec plus de vitesse, que la pensée ainsi que le corps augmente la rapidité de sa marche. À ceux-là seulement qui sauront calmer cette fièvre, l’art décernera ses palmes. L’esprit est glorieux et divin par cela même que ses lois n’ont rien à démêler avec celles qui régissent les choses. Il a son mouvement éternel et uniforme, comme celui de l’être dont il émane, qu’il ne doit chercher ni à précipiter ni à ralentir sous peine de le briser. Dans le domaine terrestre, livrons-nous au plaisir de traverser plus vite que nos pères les plaines des flots et les longues routes ; mais, dans les régions de l’esprit ne pensons pas à marcher plus rapidement que Descartes ; dans celles du cœur, ne songeons point à nous avancer d’un pas plus rapide que l’abbé Prévost et Jean-Jacques.


G. de Molènes.