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de langueur après quelques années passées en apparence au sein de la plus complète félicité.

Ce qui est encore plus bizarre dans ce roman que la donnée psychologique sur lequel il repose, c’est le style dans lequel il est écrit. Si le XVIIIe siècle a eu un langage déclamatoire, au moins le bon sens qui triomphait alors l’avait purgé du phébus. Le phébus a reparu de nos jours, comme bien d’autres choses à la fois surannées et puériles dont on pouvait se croire délivré. Je ne m’imagine point que les voûtes de l’hôtel Rambouillet aient jamais entendu un langage d’une affectation plus étrange que celui d’Honorine. Grace cependant aux protestations persévérantes faites par des intelligences d’élite dans quelques régions littéraires et dans quelques régions sociales, le faux et détestable goût qu’un caprice avait ressuscité touche à la fin de son règne. Le livre même dont nous parlons est la preuve de cette révolution heureuse. Honorine produit sur l’esprit le même effet que certaines gravures d’il y a dix années. C’est cette femme incomprise de 1830, sur qui tout est devenu banal jusqu’à la plaisanterie. La soif de l’idéal, il faut l’espérer, n’est pas éteinte au fond des ames ; sans cette aspiration vers un bien infini, il n’existe pas plus de qualités littéraires que de qualités sociales ; le génie a les ailes brisées comme la vertu. Mais qu’il faut se garder de confondre ce sentiment précieux et fécond avec l’inquiet et stérile malaise qui usurpe trop souvent sa place ! L’une de ces passions inspire les généreuses actions et les nobles pensées, l’autre en tarit la source. L’une se traduit en paroles abondantes et souples, l’autre parle une langue difficile et maniérée. À cette dernière considération surtout, il est permis de croire que ce n’est point le véritable amour de l’idéal qu’on respire dans Honorine.

Honorine a sa contre-partie véritable dans Dinah Piédefer, le dernier ouvrage de M. de Balzac. Ces deux livres représentent les deux côtés qu’offre l’esprit de ce romancier. De l’un s’élèvent les odeurs mystiques du Lys dans la Vallée, de l’autre les exhalaisons malsaines et nauséabondes du Grand Homme de Province à Paris. Ce qui les unit par un lien commun, c’est le sentiment dans lequel réside le caractère distinctif de l’auteur, c’est-à-dire un curieux amour de détails de l’existence intimes jusqu’à en être quelquefois honteux. Dinah Piédefer est une satisfaction que M. de Balzac a voulu donner sans doute à ce besoin d’études scabreuses par lequel s’est signalée l’œuvre principale de ses débuts, la Physiologie du Mariage ; c’est aussi une tentative faite pour répandre de nouveau, au dehors, une malheureuse passion dont nombre de ses écrits portent déjà les marques, cet orgueil douloureux qui chez lui se traduit en haine contre tous les hommes et toutes les choses par lesquels ses prétentions sont réprimées.

Dinah, la nouvelle héroïne de M. de Balzac, est un personnage de la même nature que Mme de Bargeton. C’est une de ces femmes supérieures des petites villes que l’auteur des Illusions perdues, se plaît et excelle à peindre. Elle a épousé un propriétaire du Berry, M. de la Baudraye, que sa fortune met à