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LA BELGIQUE.

Belgique s’insurgeait contre ce roi, le plus libéral après tout qui fût alors en Europe, quand elle le combattait avec les armes de la religion, au moment où la religion se rendait odieuse à la France nouvelle, ce n’était point, il faut en convenir, à l’influence des idées françaises qu’elle obéissait. Quoique le temps l’eût bien changée, elle retrouva dans Guillaume Ier un second Joseph II, et les anciens partis de Vonck et de Vandernoot se reformèrent sous d’autres noms. Seul, le libéralisme ne serait jamais parvenu à creuser un abîme entre la Belgique et la Hollande ; il avait même commencé par se caser dans la nouvelle patrie que les traités lui avaient faite. Les seuls dissolvans vraiment actifs de la combinaison néerlandaise de 1815, ce furent l’incompatibilité des croyances religieuses et la recrudescence des anciennes rancunes populaires. Ainsi le clergé ne voulut pas recevoir, dans un collége fondé par un roi protestant, l’éducation libérale qu’il se donne aujourd’hui dans ses séminaires et dans son université ; les Flamands refusèrent de parler la langue hollandaise, qui diffère si peu de la leur ; tous furent insensibles à la prospérité nouvelle qu’ils devaient au partage du commerce des Indes ; bien peu balancèrent à en faire le sacrifice, quand le contre-coup des évènemens de juillet eut précipité le dénouement de leur propre drame, et le drapeau qu’ils déployèrent alors, ce furent ces mêmes couleurs brabançonnes que les métiers et les couvens avaient promenées en 89, dans des processions moins fameuses, mais plus étranges encore que celles de la ligue.

Tel était, lorsque sa propre révolution éclata, le peuple qui, après s’être vu pendant tant de siècles le jouet et la proie de la politique, parvenait enfin pour la première fois à proclamer son indépendance. Nous ne rappellerons pas les circonstances particulières auxquelles il doit d’avoir pu la faire accepter par les puissances dont le concours règle le sort du monde ; nous voulons seulement insister sur un fait assez considérable dès aujourd’hui pour qu’on se donne la peine de le méditer. Depuis douze ans, la Belgique s’appartient et vit d’une vie qui lui est propre : en douze ans, un peuple qui serait né tout entier dans une heure d’enfantement et de trouble ne serait rien encore ; mais si, comme nous venons de le montrer, il compte son passé par siècles, s’il est arrivé jusqu’à notre époque avec une individualité que ni les vicissitudes de son servage constant, ni l’action irrésistible des ages, n’ont pu entièrement effacer, il a eu le temps déjà de reconquérir son histoire et de fixer les conditions de son avenir. Aussi le travail de la nationalité belge, dans cette durée si bornée encore de