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LA BELGIQUE.

dans la paix et dans l’expectative déplace insensiblement le problème de son avenir ; chaque année qui s’ajoute à son passé d’hier démasque, en se retirant, un nouveau lendemain. C’est la connaissance exacte des perpétuelles altérations de sa donnée politique qui doit l’intéresser avant tout. Son théâtre est si vaste d’ailleurs, qu’elle ne saurait prendre alarme pour un peuple de plus qui sera éclos sous son aile. Témoin, depuis douze ans, de faits dont l’importance secondaire lui échappe dans le bruit que font autour d’elle les évènemens de chaque jour, nous les dirons tels que nous les avons observés ; notre seul mérite, nous le revendiquons d’avance, sera une impartialité rigoureuse, et nous tirerons de cet examen, en tant qu’il intéresse l’avenir commun des deux pays, une conclusion que ce début ne fait qu’en partie pressentir.

Il est des nations dont il serait puéril de prouver l’existence : elles sont, pour rappeler ici le mot d’un grand capitaine, elles sont comme le soleil ; malheur à qui ne les voit point ! Mais d’autres, par un jeu cruel des circonstances, ont toujours été placées dans des conditions si étranges et si fausses, qu’on les nie même encore après que le congrès des empires a été forcé de les reconnaître. Tel est le petit peuple belge, composé jusqu’à ce jour en apparence d’élémens indécis et hétérogènes, mais sous sa physionomie un peu terne, au fond, singulièrement lui-même. C’est parce qu’il offre seul aujourd’hui l’exemple d’une pareille anomalie, que nous voulons démontrer qu’on a tort de lui contester sa place dans la société politique, et combattre une incrédulité qui lui a été si nuisible jusqu’à l’heure présente. Nous rassemblerons toutes les preuves éparses de sa personnalité nationale ; nous rappellerons d’abord sa naissance, contemporaine des plus fameuses origines, son passage, pour ainsi dire, souterrain à travers l’histoire, ses révoltes constantes, brusques éruptions de nationalité qui attestent l’existence du feu intérieur, son culte passionné de l’art où s’est réfugié son génie, et les causes fatales, pour la plupart indépendantes de lui-même, qui ont favorisé sa servitude, et, sans un accident heureux, l’auraient prolongée pour jamais. Sans la connaissance et l’examen réfléchi de son passé, on comprendrait mal ce que son caractère aujourd’hui a de vraiment individuel ; il est donc nécessaire avant tout de jeter un rapide coup d’œil sur cette vie latente de six siècles qui a précédé l’instant où il s’est dégagé de ses propres ténèbres : vie un peu mêlée à celle de ses maîtres et de ses voisins, parce qu’il le fut trop souvent lui-même à leurs passions et à leurs intérêts, mais qui s’en détache par certains