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DE LA POÉSIE DE M. DE LAMENNAIS.

du mal ; il ne les trouve pas assez énergiques, assez zélés ; enfin il va plus loin, il y a des momens où, il ne craint pas de l’avouer, il soupçonnerait Ahriman lui-même. On pressent qu’un jour Astouïad serait capable de demander la tête d’Ahriman.

Sans doute il y a quelques beautés de détail dans le livre de M. de Lamennais : nous avons remarqué une peinture éclatante des merveilles de la création, et un tableau charmant du bonheur du pauvre. Il faut dire aussi que l’industrie de l’écrivain sait orner les lieux-communs les plus connus et les déclamations les plus usées. Il y a maintenant chez M. de Lamennais beaucoup plus de métier que d’inspiration. Mais tous ces artifices du style sont impuissans à masquer la stérilité du fond ; ils ne sauraient non plus faire illusion sur l’état moral de l’écrivain. M. de Lamennais s’est étrangement mépris quand il a cru qu’il pourrait à volonté se métamorphoser en poète : chez lui trop de passions violentes s’opposaient à cette transformation lumineuse. Il ne s’élèvera jamais à la puissance de l’art, celui qui n’a pas dans l’esprit des croyances positives, dans l’ame de nobles ardeurs. Or M. de Lamennais ne croit plus à rien, et qu’aime-t-il, lui qui jette son fiel sur toute chose et sur tout homme ? Ah ! M. de Lamennais doit être bien malheureux ; c’est du moins la conviction que vous donne la lecture de son déplorable livre. Mais aussi pourquoi écrire, et surtout pourquoi vouloir chanter, quand on est aussi malade ? Si M. de Lamennais eût consulté ses forces et l’intérêt de sa renommée, il n’eût pas porté une main à la fois téméraire et tremblante sur la lyre du poète, dont il n’a su tirer que des sons faux et barbares. N’a-t-il pas mieux à faire ? n’a-t-il pas à tâcher enfin de s’entendre avec lui-même ? Il a tout nié, tout maudit : dans cette voie fatale il ne peut aller plus loin. Que, par un suprême effort, il se remette à la poursuite de quelques vérités positives : n’aura-t-il parcouru la carrière de la philosophie et de la pensée dans laquelle nous l’avons appelé il y a plus de dix ans, que pour tourner toujours dans le cercle douloureux d’un scepticisme incurable ?

La chute profonde qu’ont faite dans le monde littéraire les Amschaspands et Darvands, doit servir d’enseignement aux jeunes écrivains, aux jeunes poètes. Il n’y a que trop d’esprits enclins à penser qu’il suffit d’un caprice d’imagination, d’un échauffement de tête, d’une certaine fougue de tempérament pour s’élever à des effets poétiques. C’est méconnaître tout ensemble la nature de la poésie et les conditions de notre siècle. Pour parler d’abord de notre époque, tout