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DE LA POÉSIE DE M. DE LAMENNAIS.

obéissent de bons génies, les jzeds. Le terrible trône d’Ahriman est aussi environné de sept princes des ténèbres, dews ou darvands, qui ont pour satellites et pour serviteurs une foule de mauvais génies. Voilà le fond assez peu nouveau que M. de Lamennais s’est imaginé d’exploiter. Il suppose qu’à certaines époques Ormuzd et Ahriman envoient des amschaspands et des darvands parcourir les mondes dont se compose l’univers. Ce sont des espèces de missi dominici, de hauts commissaires chargés de constater si les petits anges et les petits diables répandus sur toute la surface du globe font bien leur devoir. Or nos voyageurs écrivent à ceux de leurs amis amschaspands et darvands qui sont restés au logis, auprès d’Ormuzd et d’Ahriman. C’est cette correspondance dont M. de Lamennais a pu se procurer quelque chose. Un vieux mage, mort depuis quelque temps à peine, en a laissé quelques feuilles que publie aujourd’hui M. de Lamennais ; ce sont de ces services qu’on se rend entre confrères. Par un hasard heureux, les fragmens de correspondance qu’on nous livre ont trait à ce qui se passe sur notre planète. Nos amschaspands et nos darvands ne s’occupent ni du soleil, ni de la lune, ni de Saturne, ni de Jupiter, mais de nous autres humains, et surtout de nous autres Français. Ils assistent de fort près au spectacle de nos institutions et de nos mœurs, ils connaissent nos hommes politiques, ils fréquentent la chambre des députés et la chambre des pairs. Ormuzd et Ahriman arrivent ainsi à apprendre dans le dernier détail ce qui se passe dans la France de 1830 et à la cour du roi Louis-Philippe.

Comment ne pas admirer une pareille conception ? Admirons aussi les avantages qu’y trouve l’auteur. Il a à sa disposition le génie du bien et le génie du mal, l’empire des ténèbres et le royaume de la lumière. Tous ceux qui ne partagent pas les idées et les passions de M. de Lamennais doivent trembler, car ils sont, sans rémission et sans pitié, adjugés à Ahriman. Vous avez des opinions modérées, vous respectez la constitution de votre pays, vous servez l’état dans l’administration ou dans la magistrature, vous siégez dans les chambres, vous êtes industriel, propriétaire, électeur : je vous plains, car, à votre insu, vous appartenez à l’empire des ténèbres, vous êtes l’homme-lige des pervers envoyés d’Ahriman, des darvands ; ils habitent en vous, et, par une transformation épouvantable, vous devenez darvands vous-mêmes, archi-darvands. Mais si la société a des enfans révoltés, corrompus, violens, pour qui les institutions et les lois soient un joug odieux, et qui, poussés par de sombres fureurs, se précipitent dans tous les extrêmes de la licence et du crime, oh !