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Le voyageur qui, sortant de Pondichéry par la route du nord, se dirige vers Mahabalipouram, est frappé de la tristesse des campagnes. Il y a entre la côte de Malabar et celle de Coromandel, dans certaines parties, la même différence qu’entre le Chili et les provinces de la Plata ; la même cause aussi produit cette différence. Les Gaths sont, comme les Andes, bien plus rapprochées du rivage occidental que du rivage oriental ; dans tous les pays, les montagnes font les ruisseaux, mais dans ces deux contrés d’Amérique et d’Asie, les ruisseaux font les récoltes. Cochin, Alepee, Quilon, ont de belles et fraîches forêts comme Valdivia et la Concepcion ; tout l’espace compris entre le Godaveri et le Coleroon souffre de la sécheresse comme les plaines qui s’étendent entre la Plata et Rio-Negro. Sur la droite, une ligne de palmiers indique le bord de la mer, qu’on entend quelquefois déferler au pied des dunes de sable ; tantôt on traverse des campagnes arides, pauvres, des villages habités par des gens de caste inférieure, vivant sous des cabanes faites de feuilles d’arbres, et réduits à boire, vers la fin de la saison sèche, une eau bourbeuse ; tantôt on rencontre des vallées trop basses, marécageuses, où s’élèvent par bouquets irréguliers de gros arbres, dans lesquels nichent les milans et les vautours malpropres (vultur pondicerensis) au bec jaune, aux plumes courtes et hérissées comme celles des oiseaux enfermés dans les cages ; des plages salines, que le vent a gercées et fendues comme la gelée ; des lacs formés par l’Océan, mornes flaques d’eau qui repoussent bien loin d’elles toute végétation. Après avoir franchi le plus considérable de ces bras de mer, on monte vers un village entouré de jardins ; la place fort spacieuse est tout entière ombragée par un figuier gigantesque, mais cette bourgade qu’on se représente si riante n’est autre chose qu’un bagne de la présidence de Madras ; triste halte, car on ne repose pas bien en face de ceux qui sont condamnés à de rudes travaux.

Désormais, jusqu’à la petite rivière d’Ennevore, jusqu’à cette riche huerta, déployée comme un parterre autour de Madras, les routes et les villages vont s’animant. Les chauderies que je rencontrai étaient remplies ; au soir, des voyageurs par centaines y murmuraient leurs prières en lavant leurs barbes et leurs mains ; les uns causaient jusqu’au matin par petits groupes, au grand préjudice des voisins qui témoignaient par des bâillemens prolongés le regret d’un sommeil interrompu ; d’autres, plus affairés, reprenaient leur course après un léger repas ; c’étaient souvent des cipayes allant rejoindre l’escadre destinée à l’expédition de Chine. Vêtus de l’habit rouge, mais jambes