Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/955

Cette page a été validée par deux contributeurs.
949
CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

dans un autre temple plus gigantesque, long de trois cent seize pieds, large de deux cent dix, et soutenu par mille piliers chacun d’une seule pierre. On y arrive par un péristyle élevé sur quelques marches, orné de chaque côté, à l’extérieur et à sa base, de peintures représentant des cortéges, des danses animées où l’on retrouve les mouvemens et les costumes des bayadères de nos jours. Entre ce péristyle et deux escaliers latéraux sont sculptés les éléphans que réclame tout monument indien. Le plafond a ses fresques aussi ; mais il est à remarquer que, dans ces contrées où l’on semblait édifier pour des siècles éternels, l’architecture et la sculpture acquirent un développement que la peinture n’atteignit jamais ; comme si cette branche de l’art, sœur cadette des autres, si choyée des temps modernes, eût paru produire des choses trop peu durables pour un peuple qui écrivait dans la pierre son histoire et ses dogmes.

Reposons-nous donc sous ces mille colonnes, disposées avec tant d’art et de symétrie que, de quelque côté qu’on promène son regard, elles offrent toujours de régulières allées. Un soleil perpendiculaire ne jette autour des temples aucune ombre, mais sous ce vestibule spacieux quelle fraîcheur ! Tout au fond, voici un banc haut de deux pieds et demi, sur lequel on serait tenté de s’asseoir, si ce n’était l’autel où l’on dépose les offrandes, la couche divine où deux fois Civa en personne a daigné s’étendre. Le chef actuel des brahmanes, Soundaridîkchitarapanditara (le très savant et excellent sacrificateur Soundari), l’a vu de ses yeux, et nous tenons le fait de son auguste bouche. Derrière cet autel règne un fossé profond, jardin sans cesse arrosé, qui produit les bananes, les cocos et les fleurs odorantes dont on fait hommage aux idoles. Quelques pèlerins couchés sur les dalles dorment paisiblement, et voient sans doute en rêve le dieu qu’ils sont venus adorer de l’extrémité septentrionale de la presqu’île ; près d’eux sont le bâton formé de trois branches tordues ensemble (tridanda), le vase de cuivre bien poli pour les ablutions. Çà et là de petites vaches blanches trottent et font retentir la corne de leurs pieds sur la pierre unie ; partout rôdent les rats palmistes ; les huppes que la chaleur poursuit se cachent sous les corniches, le bec ouvert, l’aile tendue. Les baigneurs qui sortent de la piscine viennent s’allonger faire l’ashthanga (prosternation des huit parties du corps) devant la statue colossale du taureau sacré, qui, au dire des dévots, se lève chaque soir, sort de dessous son dais de granit, et se promène dans l’enceinte de la pagode ; à moins toutefois que cette mystérieuse promenade ne soit accomplie par cet autre taureau vivant, gras et dodu,