Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/947

Cette page a été validée par deux contributeurs.
941
CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

mystérieux, imprégné des odeurs de la plaine, traversa l’atmosphère ; mais ce passage de la nuit au jour, marqué dans tous les pays chauds par une fraîcheur délicieuse, est de bien courte durée sous les latitudes équinoxiales. À peine les corneilles ont-elles annoncé par leurs cris tumultueux cette aurore presqu’insaisissable, à peine les petits hérons, sortant tout d’un coup de la tête du palmier sur lequel ils se perchent, ont-ils pris leur vol vers les ruisseaux et les étangs, que l’horizon, de blanc qu’il était, est devenu pourpre ; le soleil ne monte pas, il jaillit, selon l’expression hardie des poètes indiens, et darde ses feux déjà brillans. Les oiseaux, qui dans un concert joyeux ont salué le retour de la lumière, se taisent, et courent à l’ombre chercher leur pâture ; bientôt, sur le ciel doré, on n’aperçoit plus que l’aile arrondie de la buse ou celle plus arquée d’un grand aigle descendu des montagnes vers la mer. Au ramage si gai du matin succède un silence absolu : la route devient déserte ; il semble que le soleil a suspendu la vie dans toute la nature, et si l’on entend quelque bruit dans les broussailles, dans la plaine, c’est celui d’un fruit mûr qui éclate et laisse tomber sa graine, le craquement des feuilles fendues par la chaleur.

J’avais traversé une jolie aldée (petit hameau) dont les habitans, convertis au catholicisme, ont de charmans jardins bien arrosés, des cabanes assez propres groupées autour de l’église. Ces églises de l’Inde, presque cachées sous les arbres et entourées d’un mur blanc, ont plutôt l’air d’un hospice, tant on y voit de mendians, de lépreux, de malades affligés d’éléphantiasis. Assis à la porte de l’enclos, ces malheureux, que les brahmanes, dans leur impitoyable hypocrisie, regardent comme des pécheurs expiant les crimes d’une vie précédente, attendent la parole de charité et d’espérance que leur adresse au passage le missionnaire, seul homme au monde qui compatisse à leurs douleurs. Le soir, quand la petite cloche, bien grêle auprès de la conque sonore des pagodes, tinte l’angelus, ces pauvres gens, chargés de tout le poids des misères humaines, s’agenouillent au milieu de l’enclos, comme sous un parvis, et récitent à haute voix une longue prière que dirige quelque vieil aveugle à barbe blanche. Pour ceux-là, le dogme de la métempsychose a peu d’attraits ; ils sont trop rudement éprouvés à leur passage sur la terre pour ne pas redouter les hasards d’une seconde naissance.

Çà et là, sur les routes, on rencontre des bazars, c’est-à-dire une certaine quantité de marchands, paysans et autres, accroupis sous