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pour que la richesse souterraine profite à la société ; et cette autre richesse qui coule à flots sur la surface, que nous voulons solidifier et convertir en or par la culture, cette richesse que nous avons trop méconnue, nous ne pourrions la saisir, parce que l’industrie que nous exerçons s’appelle agriculture et non métallurgie ! Mon frère a proposé un projet de loi fondé sur ce principe dans la conférence agricole de la chambre des députés ; ce projet a été bien accueilli. Les amis de la prospérité du pays regretteront comme moi que, dégoûté de la stérilité de nos débats politiques, il se soit retiré de la députation ; mais ses anciens collègues restés à la chambre ne répudieront pas cet héritage.

Nous venons de dire ce que la législation devait faire pour fournir aux individus et aux associations les facilités qui seules peuvent étendre et généraliser l’irrigation ; mais le gouvernement peut faire plus encore. Quand on pense que chaque dizaine de milliers de mètres cubes d’eau qui s’écoule à la mer pendant l’été peut, dans nos climats les plus chauds, soustraire un hectare de terre à toutes les vicissitudes du climat, et, dans ceux qui sont plus tempérés, une plus grande étendue encore ; quand on songe que, dans le midi, on n’hésite pas à payer annuellement 40 et 50 francs par hectare pour obtenir le bénéfice de l’eau, on s’étonnera que l’on n’ait pas cherché depuis long-temps à généraliser ce moyen d’amélioration. Pour avoir une idée de ce qu’il y aurait à faire, prenons pour exemple le département des Bouches-du-Rhône. C’est un de ceux où les canaux d’irrigation ont été adoptés avec le plus de faveur, et cependant ce département, qui n’arrose que 44,500 hectares sur 260,000, est loin d’arroser encore tout ce qui peut l’être ; le nouveau canal des Alpines, celui de Marseille, vont accroître sa surface arrosable ; toute l’île de Camargue soupire après le moment où elle sera abondamment pourvue d’eau. Je n’hésite pas à croire que, si l’on utilisait partout les eaux courantes, on parviendrait facilement à l’état où se trouve actuellement ce département. On peut donc le regarder comme représentant l’état moyen qu’on atteindra partout aisément. On pourrait donc opérer cette métamorphose sur 4,450,000 hectares qui paieraient pour droit d’arrosage une somme de 200 millions, en laissant un large bénéfice aux propriétaires. Ce serait plus de 300 millions de produit ajoutés à la richesse de la France[1]. Quel

  1. Nos rivières de France portent chaque année à la mer un tribut de près de 1,400 milliards de mètres cubes d’eau, sur lesquels les mois d’été ne débitent pas