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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

nécessité et convenance d’une méthode une fois adoptée ? Il fallait conserver à tout le livre sa couleur, son unité, se priver de quelques avantages pour en recueillir d’autres. En un mot, s’il m’est permis de reprendre une image déjà employée, une fois entré en lice avec le roman historique, et le tournoi ouvert aux yeux des juges, il fallait tenir la gageure et ne pas recourir aux armes défendues.

Et n’est-ce pas un peu ainsi que le bon sire de La Laing faisait, aux prises avec le chevalier anglais, en ce galant tournoi de Bruges ? C’était l’âge des joûtes magnifiques ; l’historien s’en est posé une à lui-même, avec les règles du combat.

Il n’en restera pas moins vrai en principe que, puisqu’après tout l’historien fait toujours quelque peu l’histoire, soit qu’il articule à l’occasion ses pensées, soit qu’il se borne à extraire, à disposer les faits de manière à produire indirectement l’effet qu’il désire, il n’y a pas lieu, dans le champ ordinaire de ce noble genre, à tant de scrupule artificiel, à tant d’effacement de soi, à tant de confiance surtout en la réflexion du lecteur. Il est des momens rares, il est vrai, mais indiqués, où l’historien intervient à bon droit dans le fait et le prend en main ; et, quand le lecteur sent qu’il a affaire à une pensée ferme et sûre, il aime cela.

Au reste, à mesure que M. de Barante avançait dans son histoire et qu’il l’embrassait tout entière, il se trouvait insensiblement poussé à en tirer plus qu’il n’avait prévu d’abord. Dans les derniers volumes, on l’a remarqué, les tableaux se resserrent ; il est conduit à laisser moins aisément courir sa plume à la suite des vieux chroniqueurs. C’est surtout dans la lutte de Louis XI et de Charles-le-Téméraire que cet art se marque le mieux, et en même temps son opinion se fait jour. Que le Charles XII d’alors se précipite fatalement par ses fautes, que Louis XI s’éteigne à petit feu dans ses hypocrites intrigues, l’historien saura faire entendre le jugement des peuples sur leur tombe. Un sentiment moral, sympathique, humain, s’exhale partout de ces pages, qui n’affectent point de rester froides en se montrant plus colorées. Impuissant que je suis à apporter mon tribut en telle matière et à payer un hommage tout-à-fait compétent à l’auteur, soit par une approbation approfondie, soit même sur quelques points par une contradiction motivée, je veux du moins signaler, à propos de cette héroïque destinée de Charles-le-Téméraire, quelques renseignemens peu connus, quelques vues neuves que j’emprunterai aux recherches d’un savant étranger, non point étran-