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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

niqueurs de cet age, il en était un surtout, le premier en date et en talent, que M. de Barante ne prétendait pas découvrir à coup sûr, mais qui, bien moins en circulation alors que depuis, a eu, grace à lui d’abord, sa reprise de vogue en ces années et tout un regain d’arrière-saison. Je veux parler de l’Hérodote du moyen-âge, de celui que présageait Joinville, de Froissart, dont Gray, écrivant à Warton en 1760, disait : « Froissart est un de mes livres favoris. Il me semble étrange que des gens qui achèteraient au poids de l’or une douzaine de portraits originaux de cette époque pour orner une galerie, ne jettent jamais les yeux sur tant de tableaux mouvans de la vie, des actions, des mœurs et des pensées de leurs ancêtres, peints sur place, avec de simples mais fortes couleurs. » En France, Sainte-Palaye déjà l’avait rappelé à l’attention des érudits ; M. de Barante le mit en valeur pour tous[1]. Il lui dut lui-même ses principales ressources au début et comme la mise en train de son œuvre. Froissart au point de départ, Comines au point d’arrivée, les deux termes du voyage étaient rassurans, et le chemin entre les deux n’était pas dépeuplé de pèlerins et de conteurs, Monstrelet, le Religieux de Saint-Denis et bien d’autres.

Il sembla donc à M. de Barante que, par une construction artistement faite de ces scènes originales et en se dérobant soi-même historien, il était possible de produire dans l’esprit du lecteur, à l’occasion des aventures retracées de ces âges et avec l’intérêt d’amusement qui s’y mêlerait, une connaissance effective et insensiblement raisonnée, un jugement gradué et fidèle. Il pensa que rien qu’avec des récits contemporains bien choisis, habilement présentés et enchâssés, on pouvait non-seulement rendre aux faits toute leur vie et leur jeu animé, mais aussi en exprimer la signification relative. En venant plaider dans sa préface contre l’histoire officielle et oratoire, il n’a jamais demandé, il n’a pu demander que l’histoire vraiment philosophique fût supprimée ; il n’a pas dit, à le bien entendre, il n’a pas cru que l’histoire morale, celle des Tacite, des Salluste et des grands historiens d’Italie, dût cesser d’avoir ses applications diverses, surtout à des époques moins extérieures et plus politiques, aux époques d’intrigue et de cabinet : mais, ce jour-là, il demandait

  1. M. Dacier avait commencé une édition des Chroniques de Froissart, mais qui fut interrompue par la révolution. La nouvelle édition complète, publiée par les soins de M. Buchon, parut en 1824. M. de Barante avait donné l’article Froissart dans la Bibliographie universelle (1816) ; sa prédilection s’y déclare.