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le plus jeune de nos vieux chroniqueurs. Joinville est simple, naïf, candide ; sa parole lui échappe, colorée de fraîcheur, et sent encore son enfance ; il s’étonne de tout avec une bonne foi parfaite ; les choses du monde sont nées pour lui seulement du jour où il les voit. Par combien de degrés l’affaire historique a marché, et qu’il y a loin de là au rapporteur philosophe qui considère et qui décompose, qui embrasse du même œil aguerri les superficies diverses, qui communique à chaque observation, même naissante, quelque chose d’antérieur et d’enchaîné ! ce qu’il sait d’hier ou du matin, il semble le savoir de toujours.

Un autre esprit, maître plutôt en fait d’art, un écrivain, un peintre original et vigoureux, allait aborder l’histoire de front par une prise directe, immédiate ; il allait y porter une manière scrupuleuse et véridique, et, si l’on peut dire, une fidélité passionnée. S’attachant à des époques lointaines, peu connues, réputées assez ingrates, traduisant de sèches chroniques avec génie, il devait serrer tout cela de si près et percer si avant, qu’il en tirerait couleur, vie et lumière. Il semblerait créer en trouvant. C’est assez indiquer le rôle de M. Augustin Thierry.

M. de Barante, qui concevait son ouvrage vers le même temps, eut une idée plus simple et dont l’exécution dépendait surtout du choix de l’époque. Aussi ne faut-il pas accorder, je le crois, à sa très ingénieuse préface une portée plus grande que celle à laquelle il a prétendu : « Dès long-temps, dit-il, la période qu’embrassent les quatre règnes de cette dynastie (les Ducs de Bourgogne de la maison de Valois) m’a semblé du plus grand intérêt. J’ai cru trouver ainsi un moyen de circonscrire et de détacher de nos longues annales une des époques les plus fécondes en évènemens et en résultats. En la rapportant aux progrès successifs et à la chute de la vaste et éclatante domination des princes de Bourgogne, le cercle du récit se trouve renfermé dans des limites précises. Le sujet prend une sorte d’unité qu’il n’aurait pas, si je l’avais traité à titre d’histoire générale. » Ainsi dans ce choix des quatre ducs de Bourgogne, M. de Barante voyait surtout une manière ingénieuse de découper et de prendre de biais un large pan de l’histoire de France. Or, cette époque des XIVe et XVe siècles

était précisément la plus riche en chroniques de toutes sortes, et déjà assez française pour qu’en changeant très peu aux textes on pût jouir de la saveur et de la naïveté : naïveté relative, et d’autant mieux faite pour nous, quelle commençait à soupçonner le prix des belles paroles. Parmi les chro-