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REVUE. — CHRONIQUE.

Le parlement anglais, qui n’a été convoqué qu’en février, en est déjà à la discussion du budget. Sir Robert Peel a prononcé en plusieurs occasions d’admirables discours, admirables de tact, de bon sens, de simplicité et de grandeur. Ajoutons que toutes les fois qu’il a été amené par son sujet à parler de la France au point de vue de ses rapports avec l’Angleterre, son langage a été plein de justice, de noblesse, de courtoisie. « J’ai pleine confiance, disait-il dernièrement encore, dans la raison et le bon sens de la nation française, et je sais qu’en Angleterre il n’existe qu’un désir, celui de rester dans de bons termes d’amitié avec la France. » Ces paroles étaient prononcées aux applaudissemens universels et bruyans de la chambre des communes. Il est possible que dans les débats de la chambre des députés il soit question de l’Angleterre et de ses rapports avec la France. Nous aimons à croire que nous n’entendrons à ce sujet ni vaines déclamations ni vieux quolibets. La tribune doit avoir sa grandeur et sa dignité, car la tribune c’est la France, la France légale, la France officielle, la voix de l’élite du pays.

Genève a été le théâtre d’une émeute sanglante, d’une émeute scandaleuse et d’autant plus criminelle, que le prétexte en était parfaitement ridicule. Lorsqu’on entreprend d’arracher son pays au joug étranger ou d’y briser le despotisme, ou d’en sauver les libertés sérieusement attaquées, les conspirations, les commotions populaires, les insurrections, trouvent leur excuse dans la grandeur du but et la légitimité du motif. Ceux-là même qui redoutent le plus ces terribles manifestations de la force irrégulière sentent leurs passions généreuses s’émouvoir, lorsque cette force se met évidemment au service du droit, du droit méconnu, trahi, foulé aux pieds ; s’ils ne justifient pas, ils pardonnent du moins ces entreprises, fussent-elles trop hardies, imprudentes, téméraires. Mais à Genève, où la révolution la plus démocratique s’est accomplie hier ; à Genève, pays de suffrage universel, de nul cens électoral ; à Genève, où le principe électif est poussé jusqu’à ses dernières limites, que veut l’insurrection ? que peut-elle vouloir ? Le conseil représentatif, l’élu de la nation, discutait paisiblement un projet de loi, et parce qu’il se trouvait dans ce projet une disposition qui déplaisait à la minorité, parce que la majorité ne voulait pas d’un amendement, on crie aux armes ! on élève des barricades, on organise la guerre civile, et on fait feu sur ses concitoyens ! Il faudra donc, pour ne pas recevoir des coups de poignard, des coups de bâton, des coups de fusil, que dorénavant la majorité demande à la minorité si elle daigne lui permettre d’adopter tel ou tel article de loi. A-t-on jamais imaginé une tyrannie à la fois plus coupable et plus ridicule ? C’est ainsi qu’on respecte la liberté, la volonté du peuple ! Encore une fois, Genève est un pays de suffrage universel ; le canton de Vaud aussi, et certes on a adopté à Lausanne plus d’un article de loi qui ne satisfait point la minorité, la partie la plus avancée, la plus ardente du pays. A-t-elle pour cela couru aux armes, blessé et tué ses concitoyens ? Elle attend le triomphe de ses idées du temps, des lumières, d’une nouvelle élection. Ce triomphe se réalisera ou ne se réalisera pas, peu importe ici ; toujours est-il qu’il faut respecter le principe dont on