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LETTRES DE LA SESSION.

pouvoir livré à de tels accidens, et qui paraît soumis aux caprices du sort bien plus qu’à des lois rationnelles et morales. L’humeur, l’intrigue, l’ambition des places, mettent sans cesse en doute une majorité si étroite que quelques voix de moins la font disparaître : les hommes les moins capables acquièrent une importance particulière ; le ministère est tenu de compter avec tout le monde, et, par une fatale conséquence, c’est entre les mains des moins fermes, des moins incorruptibles, que tombe le pouvoir, c’est de leur concours, toujours douteux, parfois mis à l’enchère, que dépend le gouvernement tout entier. Est-ce là, je le demande à ceux qui de très bonne foi se proposent de soutenir le cabinet dans un intérêt de stabilité, est-ce là une situation normale, régulière, utile au pays ? Convient-il qu’elle dure long-temps ?

Mais on veut éviter une crise ministérielle : toutes ont des conséquences dommageables pour le pays ; elles suspendent les affaires, paralysent les transactions et répandent l’inquiétude. J’en conviens, quoiqu’on exagère beaucoup ces inconvéniens. Qu’on me dise néanmoins s’il est plus avantageux d’ajourner péniblement une crise toujours menaçante que de la traverser sur-le-champ. Avec un cabinet battu en brèche, que la majorité tolère sans l’aimer, supporte sans le défendre, les intérêts de tous genres, que sa chute peut compromettre, souffrent à la fois de l’incertitude du jour et de celle du lendemain. La crise est déclarée du moment que le cabinet manque d’espace et d’air, et ceux qui veulent en retarder le dénouement la prolongent et ne l’évitent point. Je suppose que le ministère obtienne la majorité sur les fonds secrets ; sera-t-il consolidé par ce vote ? Nullement ; il n’aura pas été renversé, voilà tout. Mais la session amènera vingt autres embarras, et l’enquête électorale, et les ministres d’état, et les sucres, et les patentes, et le roulage, et le budget ; tout sera question ministérielle et se ressentira de la situation du cabinet. Il ne se retirera point, dit-on ; il est d’humeur douce et facile, ne s’irrite pas aisément, et se dévouera à la chose publique aux dépens de son propre repos. Ces projets sont fort beaux, et d’autres cabinets déjà les avaient formés ; seulement ils ne sont pas de facile exécution. Quelque dose d’humilité que donne l’amour du portefeuille, le jour vient où la mesure est comblée ; il se trouve quelque ame fière qui se révolte, quelque ami sincère du pouvoir qui ne veut pas l’amoindrir ; le malheur aigrit, la solidarité inquiète, et, malgré de solennelles résolutions, les divisions intérieures achèvent l’œuvre commencée par les luttes de la tribune. Le sentiment public avertit chacun de ce danger, et ceux qui croient éviter la crise en l’ajournant ne font que la rendre plus profonde et plus alarmante.

Je ne partage donc point les scrupules des honorables membres qui, tout en blâmant le ministère, se proposent de lui donner leurs voix, soit par l’incertitude des hommes et des principes qu’une crise ferait triompher, soit par amour de la stabilité ou effroi d’une crise ministérielle. Mais je veux examiner la situation sous un autre point de vue. Ce ne serait pas assez d’avoir discuté des objections qui touchent, pour ainsi dire, à la forme plus qu’au fond, si