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REVUE DES DEUX MONDES.

Ces os de notre frère exhumés sous mes yeux.
Vain désir ! vains efforts ! de l’un, l’autre squelette
Le tigre avait laissé la charpente complète,
Et rongeant les deux corps de la tête aux orteils,
En leur ôtant la peau les avait faits pareils.
Surmontant mon horreur, voyons, dis-je en moi-même,
Où Dieu mit entre eux deux la limite suprême ?
Par quel organe à part, par quel faisceau de nerfs
La nature les fit semblables et divers ?
D’où vient entre leur sort la distance si grande ?
Pourquoi l’un obéit, pourquoi l’autre commande ?…
À loisir je plongeai dans ce mystère humain,
De la plante des pieds jusqu’aux doigts de la main ;
En vain je comparai membrane par membrane :
C’étaient les mêmes jours perçant les murs du crâne ;
Mêmes os, mêmes sens, tout pareil, tout égal,
Me disais-je ; et le tigre en fait même régal,
Et le ver du sépulcre et de la pourriture
Avec même mépris en fait sa nourriture !
Où donc la différence entre eux deux ? — Dans la peur ;
Le plus lâche des deux est l’être inférieur !
Lâches ? Sera-ce nous ? et craindrez-vous encore
Celui qu’un ver dissèque et qu’un chakal dévore ?
Alors tendez les mains et marchez à genoux,
Brutes et vermisseaux sont plus hommes que nous !
Ou si du cœur du blanc Dieu nous a fait les fibres,
Conquérez aujourd’hui le ciel des hommes libres ;
L’arme est dans votre main ; égalisez les sorts !

LES NOIRS, avec acclamation.
Liberté pour nos fils et pour nous mille morts !
TOUSSAINT.
Mille morts pour les blancs et pour nous mille vies !…