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LES ESCLAVES.

Ils sont là ! — là, tout près, — vos lâches oppresseurs !
Du pauvre gibier noir exécrables chasseurs,
Vers le piége caché que ma main va leur tendre
Ils montent à pas sourds et pensent nous surprendre.
Mais j’ai l’oreille fine, et bien qu’ils parlent bas,
Depuis le bord des mers j’entends monter leurs pas.
Chut !… Leurs chevaux déjà boivent l’eau des cascades,
Ils séparent leur troupe en fortes embuscades,
Ils montent un à un nos âpres escaliers.
Ils les redescendront avant peu par milliers !
Que de temps pour monter ce rocher sur la butte !
Pour le rouler en bas combien ? Une minute !
...............
...............
Avez-vous peur des blancs ? Vous, peur d’eux ! Et pourquoi ?
J’en eus moi-même aussi peur ; mais écoutez-moi.
Au temps où m’enfuyant chez les marrons de l’île,
Il n’était pas pour moi d’assez obscur asile,
Je me réfugiai, pour m’endormir, un soir,
Dans le champ où la mort met le blanc près du noir,
Cimetière éloigné des cases du village,
Où la lune en tremblant glissait dans le feuillage.
Sous les rameaux d’un cèdre au long bras étendu,
À peine mon hamac était-il suspendu,
Qu’un grand tigre, aiguisant ses dents dont il nous broie,
De fosse en fosse errant vint flairer une proie.
De sa griffe acérée ouvrant le lit des morts,
Deux cadavres humains m’apparurent dehors ;
L’un était un esclave et l’autre était un maître ;
Mon oreille des deux l’entendit se repaître,
Et quand il eut fini ce lugubre repas,
En se léchant la lèvre il sortit à longs pas.
Plus tremblant que la feuille et plus froid que le marbre,
Quand l’aurore blanchit, je descendis de l’arbre,
Je voulus recouvrir d’un peu du sol pieux