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REVUE DES DEUX MONDES.

Les haines, les mépris, les hontes, les injures,
La nudité, la faim, les sueurs, les tortures,
Le fouet et le bambou marqués sur votre peau,
Les alimens souillés, vils rebuts du troupeau ;
Vos enfans nus suçant des mamelles séchées,
Aux mères, aux époux, les vierges arrachées,
Comme pour assouvir ses brutaux appétits
Le tigre à la mamelle arrache les petits ;
Vos membres, dévorés par d’immondes insectes,
Pourrissant au cachot sur des pailles infectes ;
Sans épouse et sans fils vos vils accouplemens,
Et le sol refusé même à vos ossemens,
Pour que le noir, partout proscrit et solitaire,
Fût sans frère au soleil et sans dieu sur la terre.
Rappelez tous les noms dont ils vous ont flétris,
Titres d’abjection, de dégoût, de mépris ;
Comptez-les ! Dites-les ! et dans notre mémoire,
De ces affronts des blancs faisons-nous notre gloire !
C’est l’aiguillon saignant qui, planté dans la peau,
Fait contre le bouvier regimber le taureau ;
Il détourne à la fin son front stupide et morne,
Et frappe le tyran au ventre avec sa corne.

Vous avez vu piler la poussière à canon,
Avec le sel de pierre et le noir de charbon ;
Sur une pierre creuse on les pétrit ensemble ;
On charge, on bourre, et feu ! le coup part, le sol tremble.
Avec ces vils rebuts de la terre et du feu,
On a pour se tuer le tonnerre de Dieu !
Eh bien ! bourrez vos cœurs comme on fait cette poudre,
Vous êtes le charbon, le salpêtre et la foudre.
Moi, je serai le feu, les blancs seront le but.
De la terre et du ciel méprisable rebut,
Montrez en éclatant, race à la fin vengée,
De quelle explosion le temps vous a chargée !
(Il se penche et écoute un moment à terre.)