Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/894

Cette page a été validée par deux contributeurs.
888
REVUE DES DEUX MONDES.

peuple fournirait aisément soixante mille hommes bien disciplinés ; mais il s’obstine à créer, au moyen de la conscription, une armée permanente à l’européenne, une garde du prince, au lieu d’une garde nationale, et le gouvernement n’a pu jusqu’ici obtenir plus de trois mille hommes de troupes régulières. Les soldats font l’exercice à la russe, portent l’uniforme vert à paremens rouges, et reçoivent chacun 5 francs de gratification par mois. Quelque restreinte que soit cette conscription, et quoique le temps de service n’excède pas six années, le gouvernement n’ose lever lui-même les recrues ; il se décharge de cette tâche sur les knèzes : chaque knéjine, suivant les usages orientaux, choisit elle-même ses conscrits, ou leur achète à volonté des remplaçans. Une autre mesure non moins conforme au génie oriental est l’élection des officiers par les soldats, qui, rassemblés périodiquement, présentent leurs candidats à la ratification de l’état-major. Parmi les troupes d’élite, il faut signaler la cavalerie, qui, montée sur ses petits chevaux slaves, manœuvre admirablement. Quant à l’artillerie, elle ne se compose que d’une trentaine de pièces mal servies. Les soldats employés comme musiciens reçoivent leur congé au bout de trois ans, et, en quittant le drapeau, emportent leur instrument, afin de répandre dans les campagnes le goût de la musique européenne. Dans le cas d’une levée en masse des citoyens, chaque knèze marche à la tête des gens de son district, et les grades civils deviennent des grades militaires. Cette levée de la masse a lieu spontanément chaque fois que la patrie est en danger ; mais, dans aucun cas, elle ne pourrait être destinée à soutenir le sultan. Le seul et dernier signe de dépendance qui rattache, depuis 1833, les Serbes à la Porte, est le tribut annuel de 2,300,000 piastres, formant à peu près le quart du budget total de la principauté.

Le commerce entre ce pays et la Turquie est entièrement libre ; les Serbes n’ont pas un centime à payer pour écouler leurs produits dans l’empire, tandis qu’au contraire les objets importés de Turquie chez eux paient un droit à la frontière, comme les marchandises européennes. Aussi la douane seule de Belgrad rapporte-t-elle plus d’un demi-million de francs par année ; ses tarifs, décrétés par le premier oukase de Miloch, du 20 décembre 1833, établissent que le bois envoyé de Serbie à Césaria (Vienne) doit payer 20 paras par toise, que les produits d’Europe destinés à la Romélie paient par chaque teskéré (bolette et plombage) 10 paras, et autant pour l’emmagasinage, droit élevé à deux piastres pour les marchandises qui