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khaïl mon nom et prénom, et apposer mon sceau à cet acte, afin de prouver qu’il émane de mon libre et plein consentement.

« Donné à Belgrad, 1er  juin 1839.

« Miloch Obrenovitj,
« Kniaze des Serbes. »

Un second acte, contenant la cession du pouvoir au naslednik (successeur) Milane, fut également lu à l’assemblée. Le prince y donnait à son fils toutes ses bénédictions, l’engageait à ne régner qu’avec clémence, à consacrer toute sa vie au bonheur de ses sujets ; par là seulement, ajoutait Miloch, il pourrait adoucir les souffrances et les regrets de son vieux père. Ces deux actes furent présentés à la diète, qui en accueillit la lecture par un morne silence ; les députés étaient sous la pénible impression de la résistance opposée au vœu populaire. Ils demandèrent seulement que Miloch partît sans délai, et son départ fut fixé au lendemain.

Toute la nuit, le prince fit entendre des lamentations déchirantes. « Ma chère Serbie, ma douce terre natale, je ne te verrai donc plus ! Je ne serai plus ton clément, ton fils béni ! » (le mot miloch en serbe a cette double signification.) N’avait-il pas ses raisons pour regretter cette patrie qui l’avait vu passer de l’état de valet de ferme, gagnant trois sous par jour, au rang de prince assez riche pour pouvoir mettre en sûreté, dans la banque de Vienne, un million six cent mille ducats ?

À neuf heures du matin, le sénat et les évêques escortèrent Miloch jusqu’à la Save, où l’attendaient une goëlette armée et deux barques remplies de soldats, chargés de le garder jusqu’à son arrivée en Valachie, pour l’empêcher de fuir en Autriche. Au milieu de la foule épaisse rassemblée sur les quais, Miloch était aisément reconnaissable à sa taille gigantesque, à sa tête énorme et à sa grosse loupe sur la joue gauche. Il marchait d’un pas ferme ; mais, sur le point d’entrer dans la goëlette, il s’attendrit de nouveau, pria tous ceux qu’il avait persécutés de lui pardonner ses violences, et s’avoua l’instigateur de la dernière révolte contre une charte qu’il croyait pernicieuse. Puis il jura un éternel amour à sa patrie, et rappela que, malgré ses fautes, il avait néanmoins fait beaucoup pour la régénération de la Serbie. Enfin, il embrassa les sénateurs, ses ennemis, leur souhaita une vieillesse plus tranquille que la sienne. « Quittons-nous sans haine, dit-il ; séparons-nous comme il convient à