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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

peuple ne serait point admise à prendre part aux délibérations. Quand l’assemblée sortit de Belgrad pour aller tenir en plein champ, sous des platanes, sa séance décisive, il fallut fermer les portes de la ville pour empêcher le reste du peuple de s’élancer à la suite de ses députés. Voutchitj, à leur tête, redevenu simple citoyen, traversait les rues obstruées par la foule, comme un dictateur romain après son abdication. Sa large tunique blanche, son caleçon turc, sa ceinture rouge garnie de pistolets, et surtout sa fière attitude, le faisaient distinguer sans peine au milieu des autres sénateurs. La séance commença par un discours du métropolite Peter, qui déclarait que le kniaze, chargé d’accusations auxquelles il ne pouvait pas répondre, avait résolu d’abdiquer et de se retirer pour le reste de ses jours dans ses biens de la Talachie. L’assemblée nationale accueillit par un long murmure cette déclaration inattendue. — Quoi ! s’écriait-on, sans restituer les sommes enlevées au pays, Miloch se retirerait dans les terres qui sont le fruit de ses brigandages ! Il irait jouir de sa colossale fortune, amassée en vingt années de meurtres et de rapines, et, tranquille à l’étranger, il emploierait une partie de ses richesses à soudoyer chez nous des espions et des traîtres ! Non, il ne doit pas nous échapper avant d’avoir rendu ses comptes. Il faut qu’il subisse son jugement, ou bien que, s’avouant lui-même par écrit coupable et digne de l’exil, il restitue l’or qu’il doit à ses concussions. — Quelques voix s’élevèrent faiblement pour demander qu’on laissât Miloch emporter ses trésors, à condition qu’il délivrerait à jamais la Serbie de sa présence ; mais ces timides propositions se perdirent au milieu de clameurs furieuses. Effrayés de ce tumulte, les vieux sénateurs, même ceux que Miloch avait le plus maltraités, protestèrent contre toute violence faite à la personne du kniaze ; ces vieillards en cheveux blancs voulaient descendre au tombeau en paix avec tout le monde.

Quelques partisans de Miloch, comme le colonel Raïovitj, profitèrent de ces dispositions du sénat pour inviter le peuple à la douceur ; personne ne daigna leur répondre. « Frères ! s’écria enfin Stoiane Simitj, le kniaze se reconnaît l’auteur de la révolte, il avoue ses tyrannies, il désire seulement qu’on lui en épargne l’aveu public, et qu’on le laisse se retirer en paix. Il se soumet d’avance à ce que décideront les tribunaux par rapport aux restitutions ; il rendra sur ses biens privés tout ce qu’il a, par violence, confisqué aux particuliers. — Restituer tout est impossible, répondirent les orateurs du peuple un peu calmés par ces aveux ; qu’il rende seulement ce qu’il a extor-