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nationaux qu’il s’était appropriés ; le sénat fut instruit de la fraude et déclara ces ventes non valides. Il ne restait plus à Miloch qu’à accuser le sénat de rébellion ; c’est ce qu’il fit, et, ne voulant pas, disait-il, rester le prisonnier du soviet, il s’enfuit à Zemlin. Représentant d’une cour qui avait appuyé la dynastie des Obrenovitj, et tremblant que le peuple ne la déclarât déchue du trône, Vachtchenko se rendit alors près du prince fugitif et réussit, en prodiguant les promesses, à le ramener en Serbie. Revenu à Belgrad, Miloch se hâta d’exploiter les bonnes dispositions du consul russe. Il obtint de Vachtchenko qu’il appuyât un manifeste adressé à son souverain. Dans cette pièce, Miloch priait le tsar de lui accorder un asile en Russie, et soumettait à sa décision suprême le différend qui s’était élevé entre lui et le sénat. Nicolas, flatté de cette marque de confiance, répondit en invitant Miloch à venir à Pétersbourg. Aussitôt le kniaze fit entamer des négociations analogues auprès de la cour d’Autriche, et, dès qu’il les crut assez avancées, il repassa à Zemlin, annonçant qu’il allait se plaindre à Vienne. Par cette conduite habile, Miloch compromettait le consul russe, qui, après avoir décidé le tsar à protéger le kniaze, avait le plus grand intérêt à empêcher l’Autriche d’intervenir dans cette affaire. Vachtchenko visitait chaque jour le kniaze au lazaret ; Petronievitj et les autres sénateurs du parti national, tremblant que l’Autriche n’intervînt en faveur de Miloch, allaient jusqu’à deux fois par jour le supplier de revenir. Grace à l’ignorance où était l’Europe du véritable état des choses, Miloch avait pris tout d’un coup une position très forte. En Hongrie, on était près de le regarder comme un autre Louis XVI, qui veut échapper à ses bourreaux. En Serbie, beaucoup de patriotes penchaient à croire que le protectorat autrichien ne serait pas aussi écrasant que celui de l’empereur russe, et tendaient la main aux Serbes de Hongrie, tous favorables à Miloch, par suite des faux rapports publiés dans les feuilles allemandes. C’est alors que deux chefs du parti de Miloch, l’habile Jivanovitj et le médecin piémontais Cunibert, voyant leur maître ébranlé par les supplications du sénat, dont ils avaient personnellement à redouter la colère, s’évadèrent la nuit de Belgrad, et rejoignirent à Zemlin le prince fugitif, pour l’engager à persister dans ses refus. Mais la princesse Loubitsa arriva presque en même temps de Temesvar avec ses fils ; pour se rendre populaire, elle accabla de reproches son mari en présence des sénateurs et lui peignit la honte qui le suivrait dans les cours où il irait porter ses plaintes. Alors Miloch, versant des larmes, jura de régner désormais en kniaze citoyen, soumis à la