Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/870

Cette page a été validée par deux contributeurs.
864
REVUE DES DEUX MONDES.

temps et le mode fixés par le kniaze. La Russie rejetait soudain tous les plans qu’elle avait approuvés, un an auparavant, dans une dépêche secrète dont quelques employés de la chancellerie serbe avaient eu connaissance. Depuis que Miloch appelait les Anglais, on ne doutait plus à Pétersbourg que ce ne fût décidément un monstre indigne de pardon. Profitant de ces dispositions de la Russie et de la présence de Nicolas au camp de Vosnesensk, les chefs de l’opposition, Stoiane Simitj, Voutchitj, et avec eux une foule de knèzes appuyés par le frère même du prince, Ephrem, passèrent à Orchova, d’où ils envoyèrent leurs plaintes à l’empereur par l’intermédiaire de Protitj, réfugié alors à Boukarest. Nicolas n’eut garde de laisser échapper cette occasion d’augmenter son influence en Turquie ; il dépêcha anssitôt le prince Dolgorouki pour aller constater les griefs des Serbes. Le 13 octobre 1837, l’envoyé de Nicolas entrait à Kragouïevats, salué par l’artillerie. Le prince russe n’épargna point au kniaze les reproches sur son ingratitude envers le tsar, et le menaça de toute la colère impériale s’il continuait de refuser des lois justes à son pays. Ce diplomate était un trop haut personnage pour que Miloch ne fût pas devant lui souple jusqu’à la bassesse. Il lui fit les plus magnifiques promesses, lui accorda le retour et l’amnistie de tous les exilés et émigrés volontaires, publia le 16 octobre un oukase qui déclarait qu’à l’avenir les propriétés seraient inviolables, sans toutefois garantir cette inviolabilité autrement que par sa parole de prince. Deux jours après, dans un grand banquet, dans une réunion prétendue populaire, Miloch portait la santé de Nicolas, et Dolgorouki celle de Miloch. En même temps des hommes à gages remplissaient l’air de leurs cris en l’honneur du kniaze, qui se confondait en protestations d’amour pour la Russie. Convaincu que désormais Miloch gouvernerait mieux, c’est-à-dire qu’il serait plus dévoué au tsar, Dolgorouki repartit le 20 octobre pour Boukarest, avec l’intention d’engager son maître à laisser au kniaze la puissance suprême. Miloch l’escorta jusqu’à la frontière, en le comblant d’honneurs et en réitérant les assurances de sa complète conversion. Mais à peine s’étaient-ils donné, selon la coutume slave, le baiser d’adieu, que Miloch, se retournant vers ses favoris, se mit à rire à gorge déployée de la simplicité du bon Russe.

Miloch avait appelé à Belgrad, en février 1837, deux légistes serbes de Hongrie, Lazarevitj, bourguemestre de Zemlin, et l’avocat Hadchitj, de Neusats, gentilhomme riche et très aimé en Syrmie. Laissant intact le code criminel, emprunté aux lois autrichiennes, ils