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frontière du Stari-Vlah. Tous les knèzes dont on voulait se défaire et qu’on n’osait décapiter publiquement, étaient envoyés en mission dans ce district, où ils périssaient dans les défilés sous les coups des momkes de Mitjitj, déguisés en haïdouks bosniaques. C’est ainsi que fut assassiné l’opulent Mladen, dont Miloch convoitait les richesses. Ces victimes étaient ensuite inhumées avec de grands honneurs dans les couvens du Stari-Vlah et du mont Roudnik.

Avec une merveilleuse astuce, Miloch parvenait à faire croire au bas peuple qu’il agissait dans son intérêt ; c’était le bonheur du pauvre que ce terroriste fondait en persécutant les grands, les aristocrates, qui rêvaient la féodalité ; lui, au contraire, en butte à leurs calomnies, était le père des opprimés, le démocrate, le niveleur. Fantasque toutefois comme tous les tyrans, Miloch s’amusait souvent à effrayer le pauvre peuple. Tantôt, après l’avoir invité à une fête et à un feu d’artifice, il dirigeait les fusées contre lui ; tantôt, comme à Pojarevats, il défendait avec des menaces terribles que personne, autour du konak, fit le moindre bruit pendant ses siestes d’été, et alors, disent les Serbes, on eût entendu une mouche voler sur la ville. Plus d’une fois il voulut exiger de ses sujets admis en audience, qu’ils se prosternassent devant lui et lui baisassent le pied, honneur qu’on ne rend qu’au sultan. La loi turque défendant au raya de passer à cheval devant la demeure d’un pacha, le kniaze s’autorisait de cet usage musulman pour faire infliger la bastonnade à tout chrétien qui ne descendait pas de sa monture en passant devant son konak, et les fiers montagnards étaient contraints à prendre un long détour afin d’éviter le palais fatal. Sa luxure égalait son avarice et sa férocité : pour se débarrasser plus aisément des maîtresses qu’il répudiait, il avait interdit à tous les jeunes gens de sa garde de recevoir leurs femmes d’autre main que la sienne ; l’oukase de 1834 sur ce sujet est formel. Son pourvoyeur de débauche, Abraham, parcourait périodiquement les villages afin de choisir les plus belles jeunes filles, qu’il amenait ensuite à la cour, où Miloch voulait bien, comme il le disait, se charger de leur éducation ; puis, quand il était las de l’une d’elles, il la faisait dame d’honneur. Heureuses encore les familles quand Miloch ne prétendait pas se satisfaire sur-le-champ, comme dans un voyage le long de la Morava, où il fit arracher une fille des bras de sa mère désespérée pour l’entraîner dans sa tente ! L’usage de l’otmitsa (enlèvement de l’amante par son amant), enraciné chez les Serbes, ne pouvait se détruire subitement, d’autant plus qu’il était la ressource du pauvre dont une famille riche dédai-