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Le kniaze, qui ne regardait son pays que comme une grande ferme dont il avait l’exploitation, parcourait chaque année les nahias pour son commerce de bestiaux, choisissant parmi les troupeaux de ses sujets les plus belles pièces qu’il payait à vil prix. Ces porcs, bœufs et moutons d’élite, étaient conduits à Belgrad et enfermés dans les vastes écuries de la douane, jusqu’à ce qu’il les envoyât vendre pour son compte sur les marchés d’Autriche. Pour s’exempter, pendant cet intervalle, des frais de la nourriture, il les faisait paître dans les pacages communaux de Belgrad. Ces vastes pâturages, qui s’étendent le long de la Save, appartenaient depuis des siècles à la classe indigente ; chaque famille pauvre y entretenait une vache et quelques chèvres dont le lait l’aidait à vivre. Miloch trouva que cette liberté de pâture portait préjudice à son trésor ; il ceignit les pacages communs de haies, et les déclara prairies du souverain. La Sava-Mahala (faubourg de la Save), enclavée dans ce nouveau domaine, dut disparaître, et ses habitans eurent ordre d’évacuer leurs maisons. Ces malheureux, espérant obtenir un dédommagement, temporisèrent jusqu’à l’année suivante. Alors Miloch, étant venu visiter ses nouvelles acquisitions, et furieux de ce que la Mahala subsistait encore, appela ses momkes, rassembla des paysans, et fit mettre le feu aux deux cents cabanes dont se composait ce faubourg. Femmes et vieillards, surpris par les flammes, prirent la fuite en s’efforçant de sauver quelque débris de leur pauvre ménage ; ce fut en vain : le feu, excité par le vent, roula ses langues ardentes, qui léchèrent la colline comme pour la purifier de toutes ces immondices de la misère humaine et la rendre digne de recevoir la voluptueuse villa d’un prince. Miloch, présent à cette horrible scène, excitait ses momkes du geste et de la voix. Davidovitj ne pouvait l’arrêter. — Que vont dire, répétait-il à Miloch, nos frères, les Serbes de la rive autrichienne, en voyant ces longues rangées de maisons en flammes ? — En effet on crut, à Zemlin, que l’armée turque était revenue, et on envoya prendre sur-le-champ des informations. Dans leur douleur, les habitans de Belgrad se disaient entre eux : Cachons bien ces crimes, que l’Allemagne les ignore ; car que penserait-on de nous, d’avoir pris pour maître un tel homme ?

Ayant ainsi nettoyé les bords de la Save, le kniaze y fit bâtir son Palais d’été et y établit des magasins pour le sel de Valachie et de Hongrie, dont il avait acheté une énorme quantité. Peu de temps après, comme par un avertissement céleste, la Save débordée envahit ces magasins et emporta les provisions de l’avare. Miloch, impatient