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milieu des Serbes. Il avait étudié en Styrie la tactique autrichienne. « Si je puis, disait-il, discipliner à l’européenne vingt mille des miens, et me réunir aux Grecs, aucune armée ottomane ne nous résistera ; il dépendra de nous d’aller chasser les Turcs même de Stambol. » George ne s’attendait pas à rencontrer dans les montagnes natales un rival dont l’égoïsme ne reculerait devant aucun attentat. Miloch avait intérêt à se débarrasser de George : il feignit de l’amitié pour lui, parvint à connaître le lieu où il se tenait caché, et une nuit les Turcs, guidés par les indications de l’obor-knèze, pénétrèrent dans la cabane où George dormait après avoir assisté à un banquet de haïdouks. George-le-Noir ne se réveilla plus ; ses amis portèrent ses restes dans la petite église qu’il avait bâtie à Topola en 1811.

Ce nouveau crime de Miloch, que l’Europe regarde à tort comme son premier forfait, lui permit d’aspirer plus ouvertement au pouvoir suprême. Les knèzes alors s’effrayèrent, et, connaissant par expérience le caractère cruel de Miloch, pensèrent qu’il valait mieux se remettre aux mains du pacha Marochli, dont tous appréciaient la paternelle douceur ; ils chargèrent donc Pierre Molar Nicolaïevitj, président de la chancellerie serbe, et le nouveau métropolite Nikchitj, de traiter cette affaire avec le visir. Pour rester obor-knèze, Miloch n’hésita point à faire assassiner le vieux et vénérable Nikchitj dans sa maison de Chabats ; quant à Molar, il le fit traîner devant un tribunal de trente staréchines qu’il croyait de son parti ; mais le prota Nenadovitj, membre de ce tribunal, dessilla les yeux de ses collègues, qui déclarèrent Molar innocent. Miloch n’eut plus que la ressource de le citer devant la justice turque : il suborna des traîtres qui accusèrent Molar de conspirer contre le sultan, et Marochli fut contraint de le faire décapiter. L’effroi imposa silence aux autres knèzes, et il n’y eut plus personne qui osât protester au nom du peuple contre l’administration prétendue nationale.

En 1820, le divan expédia enfin aux Serbes un plénipotentiaire chargé de leur lire le firman qui leur octroyait l’invariabilité de l’impôt et le droit de n’avoir que des juges de leur sang. Pour recevoir ce firman, Miloch se dirigea vers Belgrad ; mais, instruit que les spahis lui dressaient une embuscade, il s’approcha avec un nombre de kmètes si considérable, que le pacha refusa de le recevoir dans la ville. Miloch et l’envoyé turc se rencontrèrent donc au village de Toptchider : la haine et la défiance régnèrent dans cette entrevue, et quand les Serbes en vinrent à rappeler les clauses du traité de Boukarest, le représentant de la Porte, indigné, remonta à cheval