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aimer d’eux, et même il dut bientôt craindre pour ses jours. Il était présent quand on apporta au visir la tête du terrible Stanoié Glavach, qui, gracié par les Turcs avant la dernière révolte, avait mieux aimé périr que de tourner ses armes contre ses compatriotes. Les delis lui dirent, en montrant cette tête : « Maintenant, Miloch, c’est à la tienne de tomber. — V’Allah ! s’écria l’astucieux raya ; le visir va donc perdre les cent bourses dont je lui suis débiteur pour les soixante esclaves et la jeune fille qu’il m’a cédés ? » Et il persuada à Soliman de le laisser partir afin de chercher dans ses troupeaux un nombre de porcs suffisant pour couvrir cette dette. Revenu dans les montagnes sous cet étrange prétexte, Miloch alla trouver en secret les haïdouks, leur jura de cesser de les poursuivre, pourvu qu’ils le défendissent contre la haine musulmane, et, à cette condition, promit de leur obtenir bientôt des Turcs une complète amnistie. Les patriotes, convaincus qu’ils n’avaient pas de plus grand ennemi que Miloch, mais espérant convertir à leur cause ce rusé capitaine, lui pardonnèrent le passé. La conjuration se propageait, quand Miloch, craignant les recherches de la police turque, partit pour Belgrad et obtint du visir un passeport pour Trieste, en l’assurant qu’à son retour il pourrait le payer en argent comptant, au lieu de le payer en nature. Il remontait la Save avec ses porcs, lorsqu’il vit accourir vers lui des cavaliers : Soliman venait de découvrir le complot des haïdouks et leur coalition avec Miloch. L’obor-knèze se jeta dans une barque et passa en Autriche ; mais son frère, le marchand Ephrem, qui était alors pour son commerce au village d’Otrouchnitsa, entre Belgrad et Palech, fut saisi, chargé de fers, et plongé dans les souterrains infects de la Neboïcha-koula, bastille de Belgrad. Il y resta trois mois, pendant lesquels le Danube, ayant débordé, inonda son cachot. Les geôliers ne s’inquiétaient pas de leur prisonnier, dont les jambes demeurèrent plongées dans l’eau pendant plusieurs semaines ; enfin il fut échangé contre un riche Turc dont les haïdouks s’étaient emparés. Quant à Miloch, voyant que l’insurrection devenait générale, il quitta l’Autriche et rentra dans ses montagnes, où les knèzes, pour légaliser leur résistance aux yeux même de la Porte, le proclamèrent leur chef. Dès-lors la guerre commença dans les nahias du sud, tandis que Voutchitj, de son côté, insurgeait les nahias du nord. L’archimandrite Mileta Pavlovitj arma ses moines et marcha lui-même à leur tête ; les popes garantissaient le paradis à tous les morts.

Si l’obor-knèze eût aimé la gloire, il pouvait s’en couvrir à sou-