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peuple eût atteint ses frontières et sa constitution naturelles. Mais Tserni-George, l’idole du parti pauvre, avait le malheur de ne pas se préoccuper assez de l’existence de ces deux factions. Dans sa généreuse imprévoyance, il nommait aux premières dignités des individus du parti contraire au sien, et qui, une fois installés, ne voulaient plus s’entendre avec les hommes du dictateur. En outre la faction plébéienne, encore trop faiblement organisée pour se mouvoir elle-même, n’était défendue que par des riches, Mladen et autres, qui n’avaient que peu de zèle pour sa cause, et qui en mainte circonstance la sacrifiaient à leurs propres intérêts.

Dans l’impossibilité de s’entendre, les deux partis voulurent recourir à une intervention étrangère. Dosithée Obradovitj, qui avait fondé les écoles et la littérature nationale, qui par ses services avait acquis une grande influence au sénat, obtint qu’une députation partirait pour Trieste, chargée de remettre au gouverneur français des provinces illyriennes une lettre du gouvernement serbe. Cette lettre en serbe, avec traduction italienne, offrait à la France le protectorat des Slaves de Turquie. Préoccupé de choses plus grandes, Napoléon ne s’aperçut pas de l’importance de cette proposition, et ne fit pas, pour appuyer la Serbie, tout ce qu’une sage politique aurait dû se proposer ; il se contenta d’envoyer un sabre d’honneur à Tserni-George, en lui exprimant son admiration pour ses exploits. D’un autre côté, l’Autriche traitait comme rebelles George et les siens, et refusait de négocier avec eux. Abandonnés de tout l’Occident, les Serbes n’étaient encouragés dans leur lutte que par le tsar ; il était naturel qu’ils se montrassent reconnaissans pour la Russie. Toutefois, quand l’empereur Alexandre avait exigé des Serbes, pour prix de sa protection, qu’ils l’acceptassent pour souverain, George indigné avait répondu : « Nous nous sommes affranchis du joug turc sans le tsar, sans lui nous saurons nous défendre. » Plus tard, le cabinet de Pétersbourg déposa son arrogance ; il offrit modestement de s’allier d’égal à égal avec ceux dont il avait voulu faire ses sujets. Alors le dictateur changea de langage ; il accepta les offres d’Alexandre, et un corps de trois mille Russes passa le Danube à Kladovo pour se réunir à l’armée serbe.

Cette manifestation de la Russie était loin de satisfaire les hospodars, qui redoutaient le dictateur plus que les Turcs, et demandaient avant tout des garanties contre lui. Ils insistèrent pour que le tsar leur envoyât un diplomate capable de les soutenir de ses lumières, et le consul Rodophinikine, Grec de naissance, vint au nom du tsar