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les cartes[1], et qui pourrait soutenir la comparaison avec la Limagne et le Grésivaudan. » Il eût fallu ajouter que cette Limagne et ce Grésivaudan de la Turquie sont encore couverts de forêts, et qu’on n’y rencontre guère que des pâtres. C’est pourquoi le commerce de la principauté ne consiste qu’en bestiaux, dont la plus grande partie s’exporte sur les marchés d’Allemagne.

Le seul entrepôt important du pays est Belgrad, qui, comme ville turque, n’offre plus que de lugubres ruines, et comme ville slave n’est encore qu’au berceau. Mais ce nid d’aiglons blancs battus de l’orage, comme disent les piesmas, semble destiné à jouer encore dans l’avenir un rôle non moins important que celui qu’il jouait il y a cent ans, alors qu’il était le rendez-vous des armées de l’Europe et de l’Asie. Si au contraire la paix subsiste, Pesth, Belgrad et Galats, foyers de trois nationalités renouvelées, pourront un jour, par la navigation à la vapeur, rivaliser avec les ports les plus florissans de l’Europe.

Une route à l’européenne censée large de seize toises, mais envahie par le gazon et pleine de fondrières dans les temps pluvieux, est à la rigueur praticable pour les voitures, et peut mener les touristes de Belgrad à Kragouïevats. Cette petite capitale de la dynastie déchue se compose à peine de trois cents maisons. Dominée par plusieurs collines, elle ne peut être défendue ; mais ses habitans trouvent une forteresse naturelle dans le mont Roudnik, aux contreforts couverts d’immenses forêts, et entourés d’abîmes infranchissables pour l’ennemi. Le konak de Miloch et de ses enfans est maintenant désert ; il a été peint à fresque par des artistes serbes qui y ont représenté des scènes bizarres de la vie militaire et domestique ; la salle du divan a gardé ses tapis et ses riches tentures. De la cour, défendue par de hautes palissades, on entre dans la petite mosquée que Miloch fit construire pour ses chers Ottomans. L’église renferme toujours les trônes des deux représentans de l’église et de l’état : le vladika et le kniaze ; le trône du kniaze ou prince temporel, richement décoré et surmonté des armoiries serbes, porte en slavon ces mots : Ton zèle, ô Seigneur ! me dévore tous les jours de ma vie, formule sacramentelle écrite au diadème de chaque roi-pontife. Tous ces monumens ont été laissés, depuis la dernière révolution, dans un abandon complet. Le gymnase serbe continue seul imperturbablement ses cours de phi-

  1. M. Blanqui, que nous citons ici, paraît confondre la vallée du Pek avec celle d’Ipek, croyant rectifier ainsi une erreur des géographes.