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famille, une tribu imperceptible d’écrivains prétend modifier complètement l’opinion que la société française doit se former d’elle-même, créer un monde de fantaisie et le lui imposer, imaginer des mœurs odieuses, et les lui faire accepter comme des mœurs réelles, composer un tableau repoussant et le présenter à la ronde comme un chef-d’œuvre d’exactitude. Telle est la comédie qui se joue et qui n’est pas couverte d’assez de sifflets. La société, dans des heures d’oubli, a eu la faiblesse de l’applaudir : c’est un tort dont on abuse aujourd’hui contre elle.

Que les écrivains et les romanciers surtout y prennent garde ; le châtiment peut n’être que différé. Pour punir la calomnie et réprimer la déclamation, la société a un moyen énergique, une arme sûre : le délaissement. Si les romanciers font peu de cas de l’estime publique, ils ont un faible pour le succès. C’est de ce côté qu’ils seront frappés, s’ils ne s’amendent. Les paradoxes n’amusent pas long-temps, et le public sera bientôt saturé de peintures immorales ou grotesques. La caricature n’a jamais été de l’art, et les débauches de la plume ne sauraient suppléer ni à l’observation vraie, ni à l’exécution contenue.

Quel titre ont d’ailleurs ces romanciers à se dire les interprètes de la vie réelle, et où l’auraient-ils étudiée ? Ils flétrissent la société ! Serait-ce par hasard qu’ils s’y trouvent mal à l’aise ? La société honore le respect des engagemens, la vie de famille, la fidélité aux devoirs, l’esprit de conduite, le désintéressement, la dignité d’état, la conscience : est-ce là ce qu’on ne peut lui pardonner ? et faut-il y voir l’origine de toutes ces colères ? L’insulte ne serait alors qu’une expression du dépit ou une formule du remords. Peut-être aussi, sous l’empire de l’enivrement littéraire, les romanciers ont-ils, comme les philosophes, rêvé les palmes de l’apostolat. Il en est aujourd’hui qui, après avoir prostitué leur plume à d’indécentes gravelures, aspirent aux honneurs d’un prix Monthyon et à la couronne du moraliste. Certes, c’est là une prétention étrange de la part de ces esprits qui ont abusé de tout, même du talent, et ont fait du commerce des lettres l’industrie la plus éhontée et la plus vulgaire.

Les romanciers de cet ordre devenir des moralistes, des réformateurs de la société ! En vérité, la prétention est étrange, elle est digne de notre temps. Avant de regarder autour d’elle, cette littérature aurait mieux fait peut-être de s’interroger, de sonder ses reins, pour employer une expression biblique. Après avoir été sceptique, railleuse, blasée en toutes choses, avide et peu scrupuleuse, il ne lui manquerait plus que de devenir hypocrite, de prendre la morale