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LA SOCIÉTÉ ET LE SOCIALISME.

cité des exemples heureux de l’association et des bienfaits qui en découlent, surtout au point de vue des institutions d’épargne et de prévoyance. Il fallait ajouter qu’aucune de ces créations n’a pu survivre long-temps à l’inconstance des travailleurs : celles qui se sont maintenues ne le doivent qu’au dévouement et au zèle de quelques hommes de cœur étrangers à la classe ouvrière. Dans l’état actuel, cette classe redoute encre moins la privation que la discipline, et ne reconnaît, au milieu de bien des misères, qu’un seul bonheur réel, celui de n’obéir qu’à elle-même. Pour mieux constater ce droit, elle en abuse souvent au point de se nuire, comme dans les chômages volontaires et les interruptions systématiques du travail. Les coalitions, dont plus d’une industrie a offert le spectacle, n’ont pas d’autre origine que le désir de faire acte d’indépendance vis-à-vis de l’entrepreneur, et de secouer la servitude du salaire. Voilà où en sont les choses aux yeux des hommes qui les observent froidement : évidemment ce sont là des élémens réfractaires pour l’association, qui demande avant tout à l’individu le sacrifice de ses caprices et la fidélité aux engagemens.

On a beau faire, on n’échappera pas à ce dilemme : de deux choses l’une, ou l’association des travailleurs sera forcée, ou elle sera libre. Si elle est forcée, elle rentre dans le régime des corporations d’autrefois, des jurandes et des maîtrises, c’est-à-dire dans une organisation arbitraire du travail. À part quelques esprits enthousiastes du passé, personne ne veut de ce retour à un privilége condamné par l’expérience[1]. Reste alors l’association libre qui manque de sanction, qui n’est qu’une lettre morte. Vainement un écrivain[2], dont on ne peut méconnaître ni les intentions, ni les lumières, a-t-il essayé de tracer un règlement où la liberté se concilie avec la discipline, et le droit commun avec la hiérarchie. Ce système n’a qu’un défaut, celui de stipuler dans le vide : personne ne s’y ralliera. Tant que le travail restera libre, l’ouvrier préférera l’indépendance à la solidarité. Ce n’est jamais de plein gré que l’homme s’impose des chaînes, même dans l’intérêt de son propre

  1. M. Rossi, en parlant de l’apprentissage, qui était, avec la division arbitraire des métiers, le caractère distinctif des corporations anciennes, a dit avec le plus grand sens : « L’apprentissage n’était point établi en faveur des ouvriers, mais tout en faveur des maîtres ; c’était une sorte de servitude temporaire. » Cette phrase résume admirablement le vice fondamental du système des corporations.
  2. Du Progris social, par M. de Lafarelle, député du Gard. Réorganisation disciplinaire des classes indutrielles, par le même.